Publié le 18 janvier 2022
ÉCONOMIE
La "guerre des conteneurs", symbole d’une mondialisation malade de ses excès
Pénuries de biens, explosion des frais de fret, allongement des délais de livraison : ces maux ont tous un lien avec le manque de conteneurs au niveau mondial. Alors que 90% des biens que nous consommons transitent par les mers, la pandémie et ses conséquences économiques ont détraqué ce transport maritime, bon marché, à flux tendu, et symbole d’une internationalisation de notre consommation.

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La pénurie de conteneurs, ces immenses boîtes métalliques qui s’enchevêtrent sur les porte-conteneurs pour relier l'Asie à l'Occident, illustre les dysfonctionnements de notre modèle basé sur la mondialisation de la consommation. La mise à l'arrêt forcée et imprévue de "l'usine du monde" en Chine début 2020 avec le Covid-19 a semé la pagaille dans les ports : des marchandises s’accumulaient d’un côté du globe, sans moyen de les transporter tandis qu’un embouteillage de bateaux vides se créait de l’autre côté de la planète. La reprise plus forte que prévue et le virus Omicron relancent cette crise du fret maritime.
Cela "déstabilise la chaîne logistique et crée de fortes tensions sur le marché du fret maritime, ce qui se traduit par une pénurie de conteneurs", résume Nicolas Sépulchre de Condé, directeur Europe du logisticien In2log. Aujourd'hui, 90 % du commerce mondial s’effectue par les mers, selon l’Organisation maritime internationale (OMI).
"Les conteneurs sont mobilisés sur le marché américain ce qui assèche les autres marchés"
Le problème est largement accentué par celui des conteneurs vides qui "est structurellement dysfonctionnel mais avec la forte consommation américaine, les conteneurs sont mobilisés sur le marché américain ce qui assèche les autres marchés", alerte de son côté Paul Tourret, directeur de l’institut supérieur d'Économie Maritime (Isemar). Et comme "le système maritime, portuaire et logistique américano-pacifique est totalement désorganisé, le retour des vides vers les zones de production asiatique l’est aussi", explique encore Paul Tourret. Le symbole de ce grand dysfonctionnement est l’embouteillage de près de 70 navires dans la baie de San Pedro, attendant des places à quai dans les ports de Los Angeles et Long Beach ou bien encore les longues attentes des porte-conteneurs devant les ports chinois.
Cette situation accentue les goulets d'étranglement dans les ports, ce qui perturbe encore plus le trafic maritime international et les chaînes d'approvisionnement mondiales avec des marchandises à expédier qui s’accumulent. Résultat, "les livraisons sont devenues chaotiques", ajoute Irwin Lefebvre, responsable des achats de produits maritimes chez Bolloré Logistics. Cette dépendance aux conteneurs provoque aussi des pénuries de biens. "Il y a moins d’espace sur les bateaux donc les exportateurs se recentrent sur les produits qui se vendent le mieux. Il y a donc une moindre diversité de produits en magasin", précise Nicolas Sépulchre de Condé.
Les hausses de coûts provoquent des relocalisations partielles
Par ailleurs, les délais de livraison sont allongés. "Ils passent de 5 semaines entre la Chine et l’Europe en 2019 à 2 mois et demi aujourd’hui, avec un temps de décharge et de recharge étendu à plus de 40 jours contre 7 à 10 jours auparavant", explique Nicolas Sépulchre de Condé. En outre, seulement 25% des bateaux arrivent comme prévu en Europe contre 85% avant le Covid. Par ailleurs, "un conteneur faisait 6 à 7 voyages dans le monde avant la pandémie, il n'en fait plus que la moitié aujourd'hui" précise Irwin Lefebvre, chez Bolloré Logistics. Résultat : les coûts d'expédition ont été multipliés par 6.
"Le coût de transport de produits volumineux augmentent fortement avec des hausses pouvant atteindre 100 dollars pour un frigo ou 200 à 300 dollars pour un canapé", souligne Nicolas Sépulchre de Condé. Des surcoûts en mesure de remettre en cause le modèle d’une consommation débridée par des prix de transports qui étaient jusqu'alors dérisoires et représentaient moins de 1% du prix des biens avant la pandémie. "A moyen terme, des distributeurs de produits volumineux vont procéder à des relocalisations partielles. Nous voyons émerger de nouvelles zones de production, comme la Turquie ou l’Europe de l’Est", ajoute le spécialiste. "Avec les coûts actuels de fret, un magasin qui propose des biens de consommation à petits prix en provenance d'Asie et réalise de faibles marges, vend à perte donc il ne pourra pas continuer longtemps", ajoute Irwin Lefebvre de Bolloré Logistics. "C’est tout notre rapport aux biens manufacturés qui est à questionner", estime de son côté Paul Tourret.
Mathilde Golla @Mathgolla