Publié le 14 septembre 2023
ÉCONOMIE
Crise climatique, infrastructures fragilisées, risque épidémique : Tout comprendre à la situation cauchemardesque en Libye
Phénomène météorologique "medicane", instabilité politique, infrastructures vétustes… Les causes derrière les inondations meurtrières qui ont dévasté l’est de la Libye sont multifactorielles. La catastrophe a engendré plus de 3 800 victimes selon un bilan provisoire, auquel pourrait s’ajouter une crise sanitaire alors que les secours sur place manquent de moyens face à l’ampleur des dégâts.

HANDOUT Satellite image ©2023 Maxar Technologies / AFP
À l’origine de la catastrophe, un ouragan tropical en pleine Méditerranée
Dans l’est de la Libye, le cauchemar est loin d’être fini. Après le passage de la tempête Daniel dimanche 10 septembre, Derna, ville la plus touchée, continue de compter ses morts, emportés par les torrents d’eau qui ont rasé des quartiers entiers. Des inondations dévastatrices, favorisées par le changement climatique. La tempête, qui a touché la Grèce et la Turquie avant d’atteindre la Libye, présente en effet les caractéristiques d’un cyclone ou d’un ouragan tropical.
Appelé "medicane" (contraction de "Mediterranean hurricane", soit ouragan méditerranéen en français), ce phénomène ne se produit qu'une à trois fois par an. Pour se former, il nécessite des flux de chaleur et d'humidité "renforcés par les températures chaudes de la surface de la mer", souligne Suzanne Gray, professeure au département de météorologie de l'Université de Reading en Grande-Bretagne. Or, "près des côtes libyennes, la température de la mer est trois à quatre degrés plus élevée par rapport aux normales", précise dans une interview au Monde Davide Faranda, climatologue à l’institut Pierre-Simon-Laplace.
"Dans cette atmosphère réchauffée depuis des semaines et rendue très humide à cause de l’évaporation de la Méditerranée, le cyclone se recharge au fur et à mesure", ajoute l’expert qui estime que ces conditions provoquent "10% à 20% de précipitations en plus par rapport aux mêmes phénomènes dans un climat préindustriel." Il est pour le moment difficile de dire si ce type d'évènement sera ou non plus fréquent à l'avenir, rappellent des scientifiques du UK National Climate Impacts.
Des systèmes d’alerte et des infrastructures fragilisés par le chaos politique
Mais le climat n'explique pas tout. Certains analystes estiment que la scène politique fragmentée en Libye a également contribué à cette catastrophe. Avec une meilleure coordination, les autorités "auraient pu émettre des avertissements et les services de gestion des urgences auraient pu procéder à l'évacuation des personnes", a affirmé Petteri Taalas, le patron de l'Organisation météorologique mondiale, lors d'un point de presse à Genève. La plupart des milliers de morts "auraient pu être évitées", a-t-il ajouté, soulignant que les années de conflit interne qui ravagent le pays ont "en grande partie détruit le réseau d'observation météorologique."
Les conditions politiques en Libye "posent des défis pour le développement de stratégies de communication et d'évaluation des risques, pour la coordination des opérations de sauvetage", observe par ailleurs Leslie Mabon, maître de conférences en systèmes environnementaux à l'Open University du Royaume-Uni. Mais aussi "potentiellement, pour la maintenance des infrastructures critiques telles que les barrages", renchérit-elle.
L’état des ouvrages d’art de Derna, qui ont cédé sous la force des précipitations, est en effet pointé du doigt. Construits il y a 50 ans, leur maintenance laissait à désirer, remontant pour l’un des deux à 2002 selon le maire de la ville. "La faiblesse des structures des barrages et aussi la présence de fissures à l’intérieur des constructions ont affaibli la solidité des barrages au cours des années", explique à RFI Malak al-Taïeb, chercheuse spécialiste de l’eau en Afrique du Nord.
"C'est au-delà du désastre" : le risque sanitaire plane sur Derna
Ces multiples facteurs climatique et politique ont entraîné un lourd bilan humain, dont les secours commencent tout juste à apercevoir l’ampleur. Rien que pour la ville de Derna, 3 840 décès étaient décomptés mercredi 13 septembre selon Tarek Al-Kharraz, porte-parole du ministère de l’intérieur du gouvernement de l’est du pays. Un chiffre qui devrait s’alourdir dans les prochains jours alors que les équipes de secouristes poursuivent leurs opérations dans les décombres, non sans mal alors que nombreuses routes restent encore impraticables.
"C'est au-delà du désastre, témoigne l’un d’entre eux à RTL. J'ai vu des cadavres partout dans les rues, les morgues des hôpitaux sont pleines, alors ils mettent les corps dehors. Et ce n'est que la partie visible du drame, car il en reste encore plein sous terre." La priorité des secouristes est maintenant d’enterrer les victimes pour éviter la propagation de maladies. Mais ils manquent pour cela de housses mortuaires et ont lancé un appel mardi 13 septembre dernier pour obtenir de l’aide.
"Je crains que la ville ne soit infectée par une épidémie en raison du grand nombre de corps sous les décombres et dans l'eau", s’inquiète Abdulmenam al-Ghaithi, le maire de Derna, mentionné par The Guardian. Dès lors, une course contre la montre s’amorce pour éviter une crise sanitaire dans la ville.
Florine Morestin avec AFP