Fabrice Bonnifet, comment accélérer la transition écologique et sociale en 2024 ?
Avant de l’accélérer il faudrait déjà la démarrer ! Il est plus que jamais urgent de s’attaquer aux racines profondes de la crise écologique et sociale, plutôt qu’à ses symptômes. Nous avons passé bien trop de temps à essayer de trouver des artefacts pour atténuer les conséquences de notre aveuglement, à croire que l’on pouvait substituer le “sale” par du “pseudo-propre” dans une approche phasiste du “progrès”, mais l’implacabilité des faits démontre que les impacts négatifs ne diminuent pas. Nous ne remplaçons rien, nous continuons d’empiler les sources énergétiques et de déplacer les pollutions ailleurs. Six limites planétaires sur neuf sont déjà dépassées, la crispation sociale est au plus haut, les dettes explosent… Et on constate chaque jour à quel point nos prétendues solutions miracles ne résoudront rien à l’échelle du problème.
Nous devrions plutôt nous interroger sur ce dont nous avons vraiment réellement besoin, car nous ne pourrons pas en même temps verdir l’essentiel et l’accessoire. Il convient d’accepter de sortir de l’illusion d’une économie sans limites. Ce n’est ni l’innovation, ni la technologie seules qui nous permettront de réduire la pression que nous exerçons sur les ressources et les écosystèmes. Pour y parvenir, nous devons sortir de l’économie linéaire et de l’hyperconsommation qui sont le socle de notre modèle économique et social.
Vous considérez donc notre modèle économique actuel incompatible avec la transition écologique et sociale ?
C’est un fait, nous vivons en survitesse par rapport à la biocapacité planétaire. Et pourtant une grande partie de l’humanité n’a toujours pas accès à une nourriture saine, à l’électricité et à l’eau potable. Croire que c’est en accélérant la production de tout et n’importe quoi, sans discernement de son utilité sociale et environnementale, que nous allons pouvoir nous en sortir est une pure fable. Nous sommes enfermés dans un court-termisme financier terrifiant qui paralyse les décisions que le bon sens pourtant devrait nous inviter à prendre, afin d’adresser enfin les enjeux de long terme. Tant que nous estimerons qu’il est naïf d’accepter d’internaliser dans nos coûts de production, les coûts de la régénération de la nature et de la protection des droits humains, nous continuerons de consumer le monde.
Il y a mille choses à faire mais commençons par accepter d’avoir une taxe carbone progressive et proportionnelle aux émissions générées. Tant que les économistes toléreront que l’on puisse continuer à faire de l’argent, tout en détruisant les conditions d’habitabilité de la planète, nous resterons dans une parodie de la transition. En outre, seuls les produits qui respectent les plus hauts standards sociaux et environnementaux devraient être autorisés à l’importation, c’est la seule façon de faire accepter chez nous, le durcissement de la régulation dont nous avons besoin pour éradiquer les pratiques polluantes.
Qu’est-ce qui selon vous empêche aujourd’hui ce changement de paradigme ?
Objectivement si les décideurs avaient véritablement conscience des ordres de grandeur et du temps qu’il nous reste pour agir, nous déciderions immédiatement d’un plan Marshall mondial, dont la première action serait de réapprendre le sens du mot cohérence dans la mise en œuvre des politiques au service du bien commun ! À la place, nous nous enfermons dans l’attentisme, avec des décisions de transformations superficielles ou contradictoires, ou même pire, des mesures contre-productives. Par exemple, vouloir tout climatiser va rendre les villes encore plus invivables pour ceux qui ne pourront pas y avoir accès, jouer les apprentis sorciers avec la géo-ingénierie ne fera que nous précipiter encore un peu plus vite vers le chaos climatique, ne serait-ce que parce que cela nous incitera à cesser d’atténuer nos émissions.
L’essentiel est ailleurs : nous devons faire émerger des nouveaux récits autour du vivre ensemble en harmonie avec le vivant et promouvoir des modèles économiques basés sur la fonctionnalité. L’économie doit adopter des principes novateurs : rendre circulaire par design les processus de production, privilégier la suffisance ou encore créer des relations réciproques et co-évolutives basées sur la coopération entre les parties prenantes, mieux partager la valeur créée… C’est une révolution conceptuelle qu’il est urgent de déployer dans les entreprises et dans l’ensemble de la société.