Publié le 05 mars 2019
FINANCE DURABLE
L’emprunt à impacts, nouveau chouchou des entreprises…et de leurs banques
C’est le nouveau produit de la finance durable qui a le vent en poupe. Après les green bonds, dont la croissance a quelque peu marqué le pas en 2018, les crédits à impacts positifs, dont les taux sont indexés sur des critères environnementaux, sociaux ou de gouvernance, connaissent une croissance à trois chiffres. Un emballement signe non pas d’une bulle mais bien d’une maturation et d’une convergence des systèmes économique et financier autour de la performance globale.

@jwohlfeil
C’est l’une des tendances fortes de la finance durable selon Bloomberg voire le "futur de la banque", selon d'autres experts. Depuis leur création, fin 2017, les emprunts à impacts (positive incentive loans ou sustainability loans en anglais) font une percée remarquée dans le monde de la finance durable et au-delà, dans une dynamique de convergences des banques, investisseurs et entreprises autour de la performance globale.
Face à un marché des green bonds de 180 milliards de dollars, ce nouveau produit est déjà évalué à près de 40 milliards de dollars (36,4 milliards en 2018) et les banques lui prédisent un grand avenir, avec un afflux de demandes très important provenant des entreprises, encore essentiellement européennes. Plus large que les green bonds spécifiquement dédiés au financement de projets verts, les emprunts à impacts ne sont pas alloués à des projets précis, concernent les entreprises de toute taille et de tous secteurs…mais demandent une certaine maturité en termes de responsabilité sociétale. Ce qui explique sans doute leur apparition récente sur le marché.
Une incitation à la performance globale
Ces emprunts sont en effet indexés sur la performance extra-financière des entreprises, soit sur leur notation ESG (environnement, social et gouvernance) réalisée par des agences spécialisées, soit sur quelques indicateurs spécifiques définis entre la banque et l’entreprise, ce dernier cas tendant à se généraliser. Si l’entreprise atteint ou dépasse ces objectifs, elle bénéficie d’un bonus, si elle échoue, elle peut écoper d’un malus, voire d’une obligation de réaliser des actions correctives dans l’année qui suit. "L’intérêt, c’est notamment que l’on évalue l’entreprise non pas sur ses engagements mais bien sur leur réalisation", souligne Cécile Moitry, responsable finance et investissement durable chez BNP Paribas CIB.
Parmi la cinquantaine d’émetteurs ayant souscrit ce type de prêts indexés sur des critères environnementaux, sociaux ou de gouvernance (ESG), on trouve plusieurs entreprises françaises : les géants Danone ou EDF mais aussi les fromageries Bel ou Séché environnement.
Pour les entreprises, l’intérêt est financier mais pas uniquement, loin de là. Après avoir souscrit sur ce mode un premier emprunt de 150 millions d’euros en 2017, EDF a rempilé un an plus tard pour étendre l’impact à sa principale ligne de crédit syndiqué (24 banques) pour un montant de 4 milliards d’euros. "Les montants des bonus ou malus ne vont pas modifier les frais financiers d’EDF, mais cela est suffisamment important pour créer un levier interne, une incitation à la performance extra-financière et à l’ancrer dans les différents métiers : finance, RSE, commerce, etc. In fine, cela est réellement porteur de transformation au sein de l’entreprise", estime Alexandre Marty responsable des relations investisseurs de la Direction financière d’EDF. D’où l’intérêt de bien choisir les indicateurs sur lesquels porteront l’évaluation de l’entreprise. Dans le cas du dernier crédit, celui-ci porte sur les émissions de CO2 directes du groupe, la mesure de l’engagement de ses clients particuliers dans le suivi de leur consommation et l’électrification de sa flotte de 40 000 véhicules légers.
Un pari sur l’avenir
Ce levier de transformation et de dialogue, est partagé par le groupe Bel. En 2018, le fromager a indexé sa ligne de crédit renouvelable multidevises de 520 millions d’euros sur des objectifs de réductions des émissions de gaz à effet de serre (GES), le développement de programme d’éducation nutritionnelle dans les pays clé du groupe et le déploiement d’un programme d’actions concrètes en faveur d’une filière amont laitier durable.
"Cela nous permet de montrer à nos banques et investisseurs qu’ils financent une entreprise qui s’engage. Et de prouver à l’ensemble de nos parties prenantes que la RSE est bien au cœur de notre stratégie", assure Benoit Rousseau, responsable trésorerie et financement du groupe. Mais, au-delà, il s’agit aussi pour lui d’un "pari sur l’avenir" : "il ne faut pas se focaliser sur les gains financiers de court terme. Nous pensons que d’ici quelques années, dans un monde où les liquidités pourraient être plus contraintes, les banques feront payer plus cher les entreprises n’ayant pas une politique responsable ou durable et choisiront en priorité ou feront payer moins cher les entreprises qui prouveront leur engagement durable."
Faire converger les actions
Ce pari c’est aussi celui que fait la Société Générale. "Notre idée, qui est encore de l’ordre de l’intuition qui reste donc à démontrer notamment en matière de risque de crédit, c’est qu’une entreprise qui met en œuvre une politique RSE ambitieuse s’attaquant aux challenges importants environnementaux et sociaux, sera davantage pérenne. Or le fait d’échanger avec l’entreprise pour définir ensemble les indicateurs extra-financiers et assurer leur suivi nous permet d’avoir une vision plus stratégique de l’entreprise et de sa capacité à répondre aux défis", souligne Sandrine Enguehard, Responsable de la structuration à "Impact Positif" de Société Générale.
Pour les banques, cela permet aussi de mettre en œuvre leur propre stratégie développement durable. "BNP Paribas s’est engagée de façon très claire sur la transition énergétique. Pouvoir travailler avec des entreprises directement sur leurs ambitions et réalisation en la matière nous permet de traduire concrètement et immédiatement nos propres engagements", souligne Cécile Moitry de BNP Paribas.
Autant d’atouts qui font le succès de ce type d’emprunts. "Il n’y a pas une renégociation de financement où la question n’est pas posée", assure Cécile Moitry. Mais la réponse n’est, elle, pas systématique. Les refus sont fréquents, précise de son côté Sandrine Enguehard. Tout est question de maturité !
Béatrice Héraud, @beatriceheraud