Publié le 12 mars 2021
ENTREPRISES RESPONSABLES
Devoir de vigilance : les députés européens se mettent d'accord sur un texte ambitieux
Mercredi 10 mars, le Parlement européen a adopté à une large majorité sa position concernant le devoir de vigilance des entreprises sur leur chaîne d’approvisionnement. Le texte, ambitieux, est soutenu par le commissaire à la Justice qui doit présenter le projet de législation d'ici l'été. Il devrait permettre de faire converger les initiatives qui commencent à voir le jour dans plusieurs pays.

@David ILIFF
C’est un vote que les ONG considèrent comme "décisif pour lutter contre l’impunité des multinationales". Les députés européens viennent d'adopter leur position officielle sur le devoir de vigilance. Le texte est destiné à contraindre les entreprises à identifier, traiter et corriger leurs impacts sur les droits humains et l’environnement, tout au long de la chaîne de sous-traitance. Il devrait peser auprès de la Commission européenne qui doit produire un projet de législation d’ici l’été.
Les députés souhaitent que toutes les sociétés opérant sur le sol européen, y compris les entreprises étrangères ou les PME cotées en bourse et à haut risque, puissent être condamnées en justice pour manquement à leur devoir de vigilance sur les risques environnementaux et sociaux. Et les sanctions administratives proposées incluent des lourdes amendes, l'exclusion des marchés et aides publics et l’interdiction d’importer certains biens. Enfin, les victimes de pays étrangers pourront demander réparation auprès des cours européennes.
Forte majorité
Le vote des députés est "un message fort adressé à la Commission", réagit Dominique Potier, le député PS qui avait porté la loi française de 2017. D'abord, il n'est pas si fréquent que le Parlement se saisisse de son droit d'initiative législative qui lui permet de formuler une proposition à la Commission. Ensuite, la large majorité avec laquelle il a été adopté - 504 voix pour, 79 contre et 112 abstentions - montre une convergence inédite. Même si les députés PPE sont encore divisés sur ce sujet qui crispe le patronat, le parti de droite, majoritaire au Parlement, a visiblement évolué sur la question. "Aucun amendement sur des sujets majeurs comme la responsabilité civile ou le périmètre de la supply chain (chaîne de sous-traitance, ndr) n'a été adopté", se réjouit l'eurodéputée Manon Aubry (GUE-NGL).
Le texte est aussi soutenu par Didier Reynders, le commissaire à la Justice qui porte le projet législatif. Malgré son obédience libérale, il pousse la logique d'une réglementation contraignante pour les entreprises. "C’est une rupture car jusque-là, le PPE appuyait une logique incitative", souligne l’eurodéputé Renew Europe, Pascal Durand. Une reprise totale du texte du Parlement par la Commission est encore loin d'être gagnée.
Ordre dispersé
Si la Commission "achète" le texte du Parlement, il faudra aussi convaincre les différents États membres. Or, ceux-ci avancent en ordre dispersé sur la question. En France, le devoir de vigilance est général, allant du climat au travail forcé. Mais il ne s'adresse qu'aux très grandes entreprises et laisse une large interprétation aux juges. Aux Pays-Bas, le contrôle ne s'exerce que sur le travail des enfants. De son côté, l'Allemagne vient de proposer un texte global, pour les grandes entreprises (plus de 1000 salariés) avec de fortes sanctions (jusqu’à 2 % du chiffre d’affaires).
La Commission devra donc les amener à s'accorder sur une logique et un socle commun. Pour la rapporteure du texte Lara Wolters (S&D), ils ont tout intérêt à éviter une "fragmentation du marché". Une directive européenne garantirait "des conditions de concurrence équitables et la clarté juridique pour toutes les entreprises, les travailleurs et les consommateurs", précise-t-elle. Reste à éviter qu'elle ne se base sur un texte a minima. De leur côté, les ONG en demandent plus : "En dépit des avancées, des éléments clés doivent toutefois être ajoutés par la Commission européenne pour s’assurer de son efficacité", soulignent-elles dans un communiqué. Elles demandent plus d’obligations de moyens pour prévenir et atténuer les risques et faire cesser les abus.
Béatrice Héraud, @beatriceheraud