Publié le 16 janvier 2024

La polémique autour d’Amélie Oudéa-Castéra illustre la crise de mixité qui frappe l’école française. Or cette crise est aussi celle des inégalités dont le coût social et économique est très élevé. Tensions sur le marché du travail, manque de formation, d’investissement… les conséquences sont nombreuses.

“Fais comme tes enfants, retourne dans le privé”. Les manifestants ont accueilli pour le moins fraîchement la nouvelle ministre de l’Éducation nationale, Amélie Oudéa-Castéra, en visite à l’école publique Littré à Paris, mardi 16 janvier, selon l’AFP présent sur place. Il faut dire que depuis sa nomination, cinq jours auparavant, la polémique ne fait qu’enfler. Elle est même devenue, “L’affaire Oudéa-Castéra”. Au cœur de la tempête, l’école privée Stanislas, dans laquelle les enfants de la ministre de l’Éducation nationale sont scolarisés. Cette dernière justifie leur présence en privé par l’absentéisme des enseignements de l’école publique. De quoi heurter le corps professoral et provoquer une crise que la ministre tente de clore.
Mais derrière cette polémique, c’est celle de la crise de la mixité scolaire qui se dessine en creux, un manque de mixité à l’école qui amplifie les inégalités économiques à long terme. En France, les élèves favorisés, issus de familles privilégiées, tendent en effet à se concentrer dans les mêmes classes et les mêmes établissements, parfois des établissements privés, mais pas toujours, où ils bénéficient des meilleures infrastructures scolaires. Une étude de l’INSEE a même montré que les familles favorisées évitent activement de scolariser leurs enfants dans les établissements mixtes. Au contraire, les élèves défavorisés se concentrent dans les établissements les moins avantagés, souvent les moins performants.

Le piège de la “trappe à pauvreté”

Or, ce manque de mixité à l’école tend à reproduire les inégalités sociales. Pour les jeunes issus des parcours scolaires les moins favorisés, inégalités et vulnérabilités se cumulent tout au long du parcours professionnel. Selon un rapport de la Cour des Comptes sur le sujet, les carrières des élèves défavorisés sont ainsi marquées par “un niveau de formation en décalage avec les besoins des entreprises, des handicaps socioéconomiques et géographiques ou des discriminations à l’embauche” qui contribuent aux tensions sur le marché du travail.
Une fois coincé dans cette “trappe à pauvreté”, difficile d’en sortir. Guillaume Allègre, économiste à l’OFCE (Office Français des Conjonctures Économiques), explique : “les personnes dans le bas de l’échelle des revenus ne peuvent pas emprunter comme elles le souhaitent, ce qui peut contribuer à les empêcher d’investir dans leur formation ou leur mobilité”. Et tout cela coûte cher à l’Etat et au système économique : coût d’indemnisation du chômage, des tensions sur le marché de l’emploi, dépenses publiques d’insertion…

Un système scolaire à deux vitesses, une société à deux vitesses

Cela fait maintenant plusieurs années que cette crise de la mixité scolaire est mise en lumière par différents organismes. Les rapports des dernières années du Centre National d’étude des Systèmes Scolaires ou celui de la Cour des Comptes publié en juin 2023, alertaient déjà sur le recul de la mixité scolaire, mais également sur les inégalités qui en découlent. Dans son récent rapport sur l’état de la France, le CESE (Conseil économique, social et environnemental) confirme, et s’inquiète de ce mal endémique de l’école française. L’an dernier, une étude de France Stratégie déplorait également le manque de mixité sociale à l’école et la tendance du système éducatif français à renforcer les inégalités sociales.  
Pour faire face à cet enjeu, le Ministère de l’Éducation Nationale avait commandé en 2022 au CEE (Conseil d’Évaluation de l’École) une étude sur le sujet. Leurs conclusions, publiées fin 2023, étaient claires quant à l’intérêt de plus de mixité à l’école : “les effets de la mixité sociale à l’école s’expriment au-delà de la sphère scolaire”, avec notamment “des trajectoires professionnelles plus favorables pour les élèves issus de milieux sociaux défavorisés”, donc une meilleure insertion. Le Conseil notait aussi des effets positifs sur “la baisse de la délinquance concentrée sur les élèves défavorisés”, “une réduction des stéréotypes et des comportements discriminatoires”. Il appelait donc à agir pour plus de mixité à l’école, afin de sortir d’un système scolaire à deux vitesses, qui produit une société, elle aussi à deux vitesses.

Clément Fournier

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