Des milliers de touristes forcés de quitter leurs hôtels, marchant le long des routes pour se mettre à l’abri des flammes. Sur les réseaux sociaux, ces images apocalyptiques tournent en boucle depuis le début de la semaine. Que ce soit en Grèce ou en Italie, les feux se multiplient sur le pourtour méditerranéen, faisant déjà de très nombreuses victimes. Des événements extrêmes qui poussent aujourd’hui certains acteurs du tourisme à revoir leur copie, du moins pour les prochains jours.
Σκηνές χάους από την Ρόδο. Λες και έχει γίνει πόλεμος. pic.twitter.com/3VusCiROOy
— Areti Athanasiou (@AretiAthanasiu) July 22, 2023
Le numéro un mondial du tourisme Tui comptait près de 39 000 clients sur l’île grecque de Rhodes, dont 7 800 ont été directement touchés par la situation. L’entreprise a été contrainte de les mettre à l’abri et d’opérer leur rapatriement. Le groupe opérateur allemand a même décidé de suspendre tous ses vols vers l’île jusqu’à ce vendredi 28 juillet. Contacté par Novethic, Tui assure "suivre la situation de très près à Rhodes". À noter que "la Grèce figure dans le Top 3 des destinations de Tui en France", nous rapporte le groupe.
Un avenir très incertain
La Méditerranée, région préférée des touristes l’été, devient de plus en plus inhospitalière en raison du changement climatique. La fréquentation devrait d’ailleurs baissé de 10% cette année par rapport à 2022, selon une enquête d’opinion de l’association European Travel Commission. De quoi mettre en péril l’un des pans économiques les plus importants de certains pays. En Grèce, le tourisme représente ainsi près de 25% du PIB. Il est aujourd’hui sévèrement mis à mal, comme en témoigne à l’AFP Dionysis Sabatakos, directeur adjoint d’un complexe hôtelier partiellement détruit par les flammes. "L’avenir immédiat est très incertain pour tous les employés du secteur touristique et la communauté locale".
Pourtant, "très peu de destinations ont aujourd’hui une réflexion sur l’impact du réchauffement climatique sur l’activité touristique et encore moins une politique d’adaptation", déplore auprès de Novethic Jérémie Fosse, président de l’ONG Eco-Union et coordinateur du rapport "Vers un tourisme bleu durable". Cela s’explique notamment dans le secteur public par une "absence de gouvernance" et par "une grande fragmentation des acteurs", entre les ministères, les régions ou encore les acteurs locaux. Alors que dans le privé, la réflexion est quant à elle très souvent "court-termiste" et "portée surtout sur les bénéfices".
"L’objectif des tour-opérateurs ou des hôteliers est de vendre leurs chambres. Ils n’ont que quelques semaines pour essayer de faire une bonne saison", précise-t-il. Or, ces entreprises figureront également parmi les victimes. "Bien que le changement climatique touche en premier lieu les communautés locales, explique Jérémie Fosse, les infrastructures touristiques sont fréquemment en première ligne". À l’instar des resorts en bord de plage, ces énormes complexes hôteliers soumis aujourd’hui à l’érosion des côtes, à la montée des eaux ou à la pollution.
Vers un autre tourisme ?
Toutefois, une politique de gestion des flux commence à voir le jour. Certaines destinations très prisées l’été ont d’ores et déjà mis en place des politiques de mitigation en prenant en compte non seulement l’impact sur les ressources, mais aussi sur les communautés locales, ou les écosystèmes. À l’image de l’île de Porquerolles dans le Var, qui après avoir connu un pic de fréquentation en 2020, a décidé de limiter à 6 000 le nombre de visiteurs journaliers. "La régulation numérique est aujourd’hui le système le plus égalitaire, car il n’est non pas basé sur l’argent mais simplement sur l’inscription et la réservation", explique à Novethic le sociologue Jean Viard, auteur de "L’an zéro du tourisme".
L’autre levier d’action possible serait "de casser le calendrier", explique-t-il, en rendant la région méditerranéenne plus attractive en basse et moyenne saisons, notamment en jouant sur les prix, afin d’étaler l’activité touristique non pas sur deux mois mais sur neuf. Ce que confirme Jérémie Fosse, qui s’interroge néanmoins : "nous sommes sur de la théorie. Les touristes seront-ils capables de déplacer leurs vacances, qui sont bien souvent en juillet et août, ou vont-ils aller vers d’autres destinations plus clémentes ?"
Dans tous les cas, "une véritable période d’incertitude s’ouvre pour le secteur du tourisme où il y aura des gagnants et perdants, note Jérôme Fosse. Il y aura les pays et les entreprises qui seront capables de s’adapter en diversifiant leur offre ou en allant sur un tourisme de plus grande qualité, et ceux qui n’auront malheureusement pas d’autres alternatives à proposer". C’est la fable du pot de fer contre le pot de terre, du grand resort international contre le camping familial…
Blandine GAROT