Publié le 10 décembre 2018
FINANCE DURABLE
[Décryptage] COP24 : Des limites de l’engagement de la finance sur la fin des émissions liées au charbon
Lors de la COP24, qui se déroule à Katowice en Pologne jusqu’au 14 décembre, 415 grands investisseurs mondiaux appellent les États à être plus ambitieux sur la diminution de leurs émissions de gaz à effet de serre. Un message qui laisse perplexe alors que, depuis l’Accord de Paris, les fonds des sociétés de gestion ont augmenté de 20 % leurs volumes de réserves de charbon thermique détenues indirectement.

@MartinLizner
Pour la COP24, 415 investisseurs institutionnels pesant 32 000 milliards de dollars publient une déclaration demandant aux pays de "mettre à jour et renforcer leurs contributions nationales pour atteindre l'objectif de réduction des émissions fixé par l'accord de Paris". Cette énième déclaration va-t-elle faire bouger les lignes ? On peut s’interroger. Les chiffres publiés par Influence Map montrent que les plus grosses sociétés de gestion mondiales ont, en fait, augmenté leur exposition aux réserves de charbon depuis trois ans.
D’un côté, les grands investisseurs mondiaux engagés demandent solennellement aux États d’éliminer progressivement le charbon thermique tout comme les subventions aux énergies fossiles. De l’autre, il semble plus difficile d’appliquer la même approche sur l’ensemble de la gestion d’actifs mondiale et d’éliminer les réserves de charbon des marchés financiers.
C’est en tous cas ce que dénonce le think tank britannique Influence Map qui mesure l’intensité thermique du charbon (TCI), exprimée en tonnes de CO2 par millions de dollars d’actifs sous gestion (AUM). Les conclusions de son étude sont préoccupantes quant à l’efficacité des politiques d’exclusion charbon pratiquées par de nombreux grands investisseurs dans le monde.
Elles pèsent en fait bien peu sur les marchés financiers compte tenu de la complexité desdits marchés et de la multiplicité d’intermédiaires. Les sociétés de gestion ne l’appliquent pas à l’intégralité de leur fonds qu’ils soient investis en actions, en obligations ou dans des indices. Il faudrait pour cela que l’intégralité de leurs clients leur demande de le faire. Cela peut prendre beaucoup de temps compte tenu du manque d’appétit de très nombreux acteurs pour la démarche !
Chaîne actionnariale en matière d’énergies fossiles selon InfluenceMap
30 % des émissions de CO2 chez BlackRock
Le panel de fonds analysés par Influence Map représente un total combiné de 40 000 milliards d'actifs. Ils auraient augmenté de 20 % leurs volumes de réserves de charbon thermique détenues indirectement depuis la signature de l’Accord de Paris.
Influence Map met particulièrement en cause le géant américain BlackRock, en tête des dix plus grands gestionnaires de fonds avec les portefeuilles les plus denses en charbon. Les réserves de charbon, de gaz et de pétrole contrôlées par les producteurs de combustibles fossiles qu’il détient représentent un total équivalent à 9,5 milliards de tonnes d’émissions de CO2, soit 30 % des émissions liées à l'énergie mondiale en 2017, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE).
Ces chiffres montrent que le chemin vers une économie bas carbone est encore semé d’obstacles. Les messages de plus en plus pressants du GIEC n’amènent pas le changement de modèle espéré.
"Il faudrait interdire la gestion passive, tant qu'elle n'est pas alignée sur une trajectoire 2°C", s’exclamait Michel Lepetit lors de la présentation de son étude "Sus au charbon dans l’assurance vie", le 7 décembre dernier dans une réunion organisée par le Forum pour l’Investissement Responsable à Paris. Il faudrait en tous cas s’interroger sur l’usage immodéré des indices boursiers de toute nature, ces thermomètres qui ne donnent pas la température climatique.
Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT, Directrice générale de Novethic