Publié le 05 mars 2020
ENTREPRISES RESPONSABLES
Le modèle économique de Uber menacé par une nouvelle décision de justice
La plus haute juridiction française, la Cour de Cassation, vient de reconnaître que le lien entre un conducteur et la plateforme Uber était un "contrat de travail". Une décision qui pourrait bien faire vaciller le modèle économique de la société, alors que la plateforme cumule les casseroles après une perte de 8,5 milliards de dollars en 2019 et des milliers de cas d'agressions sexuelles de la part de ses chauffeurs.

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C’est une première en France. La Cour de cassation a validé le 4 mars la requalification en contrat de travail du lien entre Uber et un de ses anciens chauffeurs. Elle estime que le lien de subordination entre le chauffeur et la plateforme est caractérisé lors de la connexion à la plateforme et que le conducteur ne doit donc pas être considéré comme un travailleur indépendant mais comme un salarié. "Le chauffeur qui a recours à l'application Uber ne se constitue pas sa propre clientèle, ne fixe pas librement ses tarifs et ne détermine pas les conditions d'exécution de sa prestation de transport", résume la Cour de cassation dans un communiqué.
Cette décision marque un tournant pour la plateforme de chauffeurs qui a basé tout son modèle économique sur le statut de travailleurs indépendants. "Au cours des deux dernières années, nous avons apporté de nombreux changements pour donner aux chauffeurs encore plus de contrôle sur la façon dont ils utilisent l'application, ainsi qu'une meilleure protection sociale", défend une porte-parole d’Uber. "C'est la seule et unique affaire en requalification que nous ayons jamais perdue en France" et "cette décision ne reflète pas les raisons pour lesquelles les chauffeurs choisissent d'utiliser l'application Uber", à savoir "l'indépendance et la flexibilité", a fait valoir l’entreprise.
Certes, c’est la seule affaire de requalification mais cette décision de la Cour de cassation ouvre des portes à tous les chauffeurs utilisant Uber. D’autant que les manifestations de ses chauffeurs se multiplient. L’intersyndicale nationale VTC (INV) a ainsi appelé les chauffeurs à se déconnecter des applications comme Uber le 6 mars. Ils dénoncent leur statut précaire, le refus d’un tarif minimum par course, et l’absence de protection sociale. Dans l'Hexagone, la plateforme a ainsi recensé 150 cas de chauffeurs ayant lancé une procédure dans le but de faire requalifier leur contrat de prestations de service en contrat de travail ou ayant dit vouloir le faire, soit 0,2% des chauffeurs passés ou actuels. "C'est une première et ça va concerner toutes les plateformes qui s'inspirent du modèle Uber", a réagi auprès de l’AFP, Fabien Masson, l’avocat du chauffeur.
Un avenir de plus en plus sombre pour Uber
Uber n’est pas la seule plateforme visée par la justice. La Cour de cassation avait déjà établi en novembre 2018, pour la première fois, un lien de subordination entre une plateforme et un de ses travailleurs. Il s'agissait alors de Take Eat Easy, une société de livraison de repas par des coursiers à vélo qui avait été liquidée. "Les plateformes, si elles ne changent pas leur modèle aujourd'hui, vont droit dans le mur car c'est la requalification assurée", avertit l’avocat Kevin Mention, qui suit une dizaine de dossiers de chauffeurs Uber.
Uber a en effet inspiré de multiples plateformes comme Deliveroo, il a même donné son nom au mouvement de transformation de l’économie, l’ubérisation. Mais depuis quelques années déjà, les nuages se multiplient et assombrissent considérablement l’avenir de la plateforme. Sa mauvaise santé financière en est un exemple criant. L’année dernière, le groupe a ainsi enregistré une perte de 8,5 milliards de dollars alors que son chiffre d’affaires était de 14,1 milliards de dollars. Une perte s’ajoutant à une image de plus en plus ternie. Des milliers de cas d’agressions sexuelles par des chauffeurs Uber ont provoqué, en décembre dernier, un vaste mouvement de boycott sur les réseaux sociaux appelés #ubercestover. La plateforme a ainsi reconnu, en décembre, 6 000 agressions sexuelles en deux ans rien qu’aux États-Unis.
Marina Fabre, @fabre_marina avec AFP