Publié le 08 novembre 2021
ÉCONOMIE
La bonne santé de la finance n'atteint pas l'économie réelle
L'indice phare de la Bourse de Paris a grimpé de plus de 40 % en un an et dépasse le seuil symbolique des 7000 points, porté par l’euphorie de la "reprise", les bons résultats des entreprises et les politiques de soutien, monétaire et budgétaire. À l’inverse, les salaires stagnent et la "reprise" se fait attendre pour les ménages, marquant le grand écart entre les bonnes nouvelles du CAC 40 et la réalité du terrain.

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Les indicateurs financiers et économiques sont au beau fixe. Les places boursières du monde entier battent des records, les PIB retrouvent leur niveau d’avant la crise, l’inflation progresse. La hausse du CAC 40, l’indice phare de la place de Paris, "est portée par un rebond économique puissant, des bons résultats d’entreprises et des perspectives optimistes malgré l’inflation", explique Christopher Dembik, responsable de la recherche économique chez Saxo Bank.
"Les grands groupes ont été aidés par les aides publiques. Il y a beaucoup de liquidités sur les marchés boursiers", ajoute Maxime Combes, économiste membre de l’observatoire des multinationales. Depuis le printemps 2020, les marchés financiers ont en effet bénéficié des mesures de soutien exceptionnelles des banques centrales. Celles-ci ont injecté autour d'une centaine de milliards de dollars par mois dans l'économie depuis un an et demi. Ainsi, "il y a beaucoup d’épargne", ajoute Philippe Waechter, directeur de la recherche économique à la banque Ostrum Asset Management. "Les investisseurs ont le choix entre des obligations qui rapportent peu ou des actions plus rentables", ajoute l’économiste. Leur choix est rapidement fait.
Cette bonne santé de la sphère financière n'a toutefois pas atteint l'économie réelle. De fait, les effets de la pandémie se font toujours ressentir : les hôpitaux restent engorgés, les pénuries de biens et la flambée du prix des matières premières freinent l’activité des entreprises et les difficultés persistantes de la Chine pèsent. Par ailleurs, les salaires stagnent en France, en dépit de la hausse de 80 000 emplois non pourvus en deux ans, selon les derniers chiffres de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares).
"Il n’y a pas de lien automatique entre la finance et l’économie réelle"
Cette décorrélation entre la finance et l'économie réelle repose sur plusieurs facteurs. La bonne tenue de la Bourse tient au fait que le "CAC 40 rend compte de la santé des 40 plus grandes entreprises françaises qui ne sont pas nécessairement représentatives du tissu économique français", rappelle Philippe Waechter. Par ailleurs, "il n’y a pas de lien automatique entre la finance et l’économie réelle. Les pouvoirs publics n’ont pas pu conditionner les aides d’État à des hausses de salaires, il n’y a donc pas de mécanismes automatiques, c’est plutôt basé sur la bonne volonté des entreprises", explique Christopher Dembik.
Or "les entreprises du CAC 40 préfèrent rémunérer leurs actionnaires plutôt que d’investir", soutient Maxime Combes. "Par exemple, Axa vient d’annoncer son plus gros programme de rachat d’actions depuis 2007. Pourquoi n’a-t-elle pas utilisé ces fonds pour baisser les polices d’assurance, aider les restaurateurs durement touchés par la pandémie ou augmenter les salaires ?", se demande ainsi l’économiste membre de l’observatoire des multinationales.
"Si les hausses salariales se généralisent, ce ne sera pas soutenable pour l'ensemble de l'économie", répond Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef dans une interview aux Échos . "La prime de 100 euros a été un moyen pour le gouvernement de faire baisser la pression dans les négociations salariales", explique Philippe Waechter.
Les gouvernements pourraient aussi exercer des pressions sur les entreprises pour les encourager à revaloriser les salaires. "La thématique de la hausse des salaires est un vrai sujet, soutient Christopher Dembik. Le nouveau Premier ministre japonais a par exemple laissé entendre qu’il y aurait des incitations fiscales pour les entreprises qui augmentent leurs salariés", illustre l’économiste. "C’est aussi une question de morale, affirme Maxime Combes qui trouverait normal que les entreprises contribuent de cette façon alors que le gouvernement les a soutenues au plus fort de la pandémie".
Mathilde Golla @Mathgolla