Publié le 31 janvier 2022
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Les sombres dessous d’Orpea ont échappé aux filets de la notation RSE
Les dommages collatéraux de la chute d’Orpea s’étendent chaque jour un peu plus. La publication du livre "Les Fossoyeurs" qui dénonce les mauvais traitements des pensionnaires de ces maisons de retraite de luxe, administrées par une entreprise cotée, a entraîné le limogeage de son dirigeant, un effondrement boursier et une future plainte au pénal pour violation des droits syndicaux. Ce scandale qui touche tout le secteur éclabousse la notation RSE puisque celle d’Orpea était plutôt bonne jusque-là !
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L’alerte avait été lancée fin 2020 par l’organisation syndicale internationale UNI dans son rapport sur la crise des soins dans les maisons de retraite dans les pays développés. Elle parle ainsi d’Orpea : "La chaîne française de maisons de retraite cotée en bourse est devenue le plus grand prestataire européen privé de maisons de retraite et s’étend rapidement en dehors de l’Europe jusqu’en Amérique latine. Orpea s’emploie à réduire les coûts, notamment par des sous-effectifs et un comportement antisyndical, ce qui a un impact direct sur la qualité des soins aux résidents. Des révélations ont mis en lumière ces problèmes que l’on retrouve notamment dans des affaires jugées dans des tribunaux en France, en Suisse, en Espagne et en Allemagne".
Le rapport du syndicat ajoute : "Son modèle commercial et ses rapports annuels se concentrent sur les acquisitions et les actifs immobiliers plutôt que sur la fourniture de services de soins. Il consiste à acquérir des terrains de valeur, les conserver alors que les prix grimpent, puis les revendre afin d’encaisser des liquidités, en relouant les maisons de soins si elles sont suffisamment rentables."
Droits syndicaux
Pourtant, en septembre 2021, la note de risques de controverses d’Orpea fournit par le principal spécialiste, Sustainalytics, était de 2 sur une échelle qui en compte 5. C’est la moyenne d’un secteur qui commençait à être bousculé sur les conditions de vie en EHPAD. Si la canicule de 2003 avait été une première alerte, les morts massives du Covid-19 des personnes âgées hébergées dans ces structures en sous-effectif chronique, avait inquiété mais sans parvenir à prendre la mesure des risques qui pesaient sur le promoteur des maisons de retraite. Il faut savoir que les investisseurs responsables n’excluent de leurs portefeuilles que les entreprises ayant une note de controverse de 4 ou 5.
La chute d’Orpea a permis de découvrir non seulement que les personnes âgées y sont maltraitées mais aussi que le groupe ne respecte pas plus les droits syndicaux du personnel. Or les conditions de vie des premières sont liées aux mauvaises conditions de travail du second. Le fait que cela soit suffisamment connu pour que plusieurs affaires aient été portées devant les tribunaux, jette une lumière crue sur les notations RSE d’ORPEA. Ces évaluations sur des critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) sont faites par des acteurs spécialisés qui croisent les réponses des entreprises à leurs questionnaires ad hoc avec leur analyse des données publiques de l'organisation. En complément, ils peuvent aussi contacter directement l’entreprise.
Orpea avait visiblement adopté une stratégie visant à cocher au mieux les différentes cases de ce processus. Elle faisait mention, dans son dernier rapport RSE, d’une belle progression de sa notation. Pour Sustainalytics, elle était en 5e position de son secteur qui compte 113 entreprises et avait progressé de 14 places. Pour Vigéo Eiris, aujourd’hui détenue par l’agence de notation financière Moody's, elle était en 6ème position d’une liste qui compte 47 entreprises et avait progressé de huit points !
Éviter le "RSE washing"
Le rapport de l’UNI appelait les investisseurs responsables à se mobiliser sur un sujet dont ils évaluaient mal le risque, focalisés sur la nécessité économique de développer des structures adaptées aux besoins créés par le vieillissement des populations et la montée en puissance de la dépendance qui l’accompagne.
Pour l’UNI, "les investisseurs doivent considérer le secteur comme une priorité d’action urgente dans le cadre de la pandémie de Covid-19, mais ils doivent aussi chercher à remédier aux problèmes à long terme du secteur liés à la qualité des soins aux résidents, aux conditions de travail et à la viabilité financière. La vie des résidents ainsi que des employés est en jeu, mais le secteur recense aussi toute une série de préoccupations liées aux droits de l’homme en rapport avec la santé et la sécurité, les salaires de subsistance, la liberté syndicale et les négociations collectives."
Pour éviter le "RSE washing" lié aux stratégies de certaines entreprises qui utilisent ces bonnes notes pour mieux dissimuler leur face cachée, il faudrait faire évoluer le modèle de notation vers une évaluation vérifiée des pratiques et des allégations dans le domaine environnemental et social. La crédibilité de la démarche est à ce prix.
Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT, Directrice générale de Novethic