Publié le 21 juin 2023
SOCIAL
Patagonia : la marque symbole de la mode éthique accusée d’exploiter des ouvrières textiles
L’exploitation des travailleuses textiles n’est pas l’apanage des marques de fast-fashion. Contre toute attente, Patagonia, entreprise réputée pour ses engagement éco-responsables, fait appel à des fournisseurs en Asie du Sud-Est ne respectant pas les droits humains, selon une récente enquête révélée par le collectif Follow the money.

LAKRUWAN WANNIARACHCHI / AFP
C'est l'entreprise érigée en exemple. Un "pionnier de la transparence" capable de "changer le visage de la mode éthique", un "engagement hors norme" sur l’environnement… Les superlatifs ne manquent pas pour décrire Patagonia comme symbole de la mode éco-responsable. Mais la belle vitrine vient de se briser. Une nouvelle enquête du collectif journalistique Follow the money dévoile les conditions de production déplorables de la marque de vêtements de sport.
Depuis sa création, l’entreprise affiche haut et fort son engagement environnemental et social, notamment au travers de campagnes de publicités militantes, comme en 2011 où, avec le slogan "N'achetez pas cette veste !", elle appelle ses clients à plus de sobriété. Plus récemment, en 2022, c’est son fondateur qui crée la surprise en annonçant céder la marque à deux ONG finançant des actions pour la planète. Pourtant, si sur le papier Patagonia assure la fabrication équitable de ses vêtements, sur le terrain la réalité serait bien moins reluisante selon les journalistes d’investigation.
L’entreprise confectionne en effet la majorité de ses produits au Vietnam et au Sri Lanka, deux pays connus pour leurs bas salaires, dans des usines exploitées en parallèle par des marques de fast-fashion. "Jusqu'à présent, nous n'avons pas vraiment remarqué de différence entre travailler avec Patagonia et travailler avec Primark ou Decathlon", explique Kevin Fernando, directeur d’une usine Sri Lankaise, Regal Image, où Follow the money s’est rendu. Récemment approuvé en tant que fournisseur de Patagonia, Regal Image doit se conformer à un code de conduite défini par la marque, encadrant les conditions de travail des ouvrières textiles, en majorité des femmes. Travail des enfants, liberté d'association, heures supplémentaires… La liste de critères est contrôlée par des audits réguliers selon l’entreprise.
Salaire dérisoire et harcèlement
Consultés par Follow the money, ces rapports révèlent de graves manquements dans les usines partenaires de Patagonia, à commencer par des semaines allant jusqu’à 80 heures de travail, bien au-delà des 60 heures maximum déterminées par le règlement de la marque. "Cela ne m’étonne pas", regrette auprès de Novethic Audrey Millet, docteur en histoire et autrice du Livre noir de la mode. "Le sri Lanka est un pays où les droits humains sont bafoués tous les jours et où le salaire moyen dans le textile est jusqu’à cinq fois moins élevé qu’en Chine", souligne l’experte.
Plusieurs témoignages relayés par les auteurs de l’enquête décrivent en effet des conditions de travail difficiles, en particulier pour les ouvrières qui subissent du harcèlement moral et sexuel. "Ils nous parlent comme si nous étions des animaux", confie Priya, une salariée de MAS Shadowline, un autre fournisseur de Patagonia. "Le directeur est un homme terrible. Il touche tout le monde d'une mauvaise manière et si vous dites que vous ne voulez pas cela, c'est que vous avez un problème", ajoute-t-elle. Ashila Niroshine Dandeniya, directrice du syndicat Stand Up Lanka, rapporte également une consommation croissante de drogue parmi les travailleuses, "pour travailler plus vite" et "lutter contre la faim". Des allégations que Patagonia refuse de commenter à l’heure actuelle.
Autre problème mis en lumière, la rémunération des salariées textiles. Alors que Patagonia s’est engagé à verser d’ici 2025 un "salaire de subsistance" à toutes les personnes travaillant sur ses produits, seules 40% de ses sous-traitants répondent aujourd’hui à l’objectif. Dans l’usine sri lankaise de Regal Image, le salaire de base avoisine à peine 65€ par mois, une rémunération largement en deçà du minimum décent situé aux alentours de 260€ dans le pays. Pour sa défense, Patagonia affirme qu'elle "n'a aucune autorité sur le salaire des travailleurs du textile, car elle n'est en aucun cas leur employeur" et indique verser des "primes de commerce équitable" aux ouvrières ne bénéficiant pas d’un salaire de subsistance.
"Woke-washing"
Loin de nier les conditions de travail imposées par ses fournisseurs, Patagonia préfère y voir une marge de progression. "Nous sommes toujours à la recherche de moyens d'accroître notre impact et d'élever les normes de l'industrie dans son ensemble, en entraînant d'autres détaillants de vêtements à nos côtés. Il est donc essentiel pour nous de continuer à nous engager dans des installations de production partagées", avance la marque.
Toutefois, cette sous-traitance est à la racine du problème selon Audrey Millet. "Ne pas avoir ses usines en propre, cela veut dire que l’on peut se retirer du jour au lendemain et laisser les travailleurs sur le carreau", précise la chercheuse qui qualifie le discours de la marque de "woke-washing". Elle rappelle par ailleurs que l’entreprise n’en est pas à son premier scandale. Accusée en 2012 d'avoir utilisé du duvet issu d’oies plumées à vif, elle avait été ensuite épinglée par Greenpeace pour la composition de ses vêtements contenant des polymères chimiques.
Mise à jour le 28 juin 2023 : Suite à la publication de cet article, Patagonia a réfuté dans un e-mail adressé à Novethic les conclusions de l'enquête menée par Follow the money. La marque affirme : "Nous auditons régulièrement les partenaires de notre chaine d’approvisionnement, directement ou via nos partenaires comme Fair Trade, Better Work ILO ou la Fair Labor Association. Si nous découvrons des problèmes, nous travaillons de concert avec nos partenaires pour mettre en place des solutions efficaces et pérennes, comme l’ont montré nos efforts fructueux pour éliminer les frais pour les travailleurs migrants."