Publié le 26 juin 2020
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Automatisation, repli, coût... l'appel à la relocalisation confronté à d'importantes limites
Le Covid-19 a mis un coup de projecteur sur les défaillances des chaînes d'approvisionnement mondialisées dans des secteurs essentiels comme la santé. Emmanuel Macron a appelé à "rebâtir une souveraineté stratégique" en relocalisant certaines activités. Mais cet appel se heurte à de multiples freins comme un coût de production plus élevé en France, la crainte de l'automatisation ou encore celle du repli voire du protectionnisme.

Laurent Cipriani / POOL / AFP
C’est le nouveau credo d’Emmanuel Macron. Depuis la crise sanitaire, qui a mis en lumière la grande dépendance de l’Hexagone à la Chine notamment pour la production de masques, de médicaments ou de respirateurs, le Président de la République veut "rebâtir une souveraineté stratégique" en "produisant davantage en France". Cette quête a déjà commencé avec le paracétamol. Le gouvernement veut que, d’ici trois ans, la France "produise", "conditionne" et "distribue" ce médicament, le plus vendu dans l’Hexagone. L’enjeu, pour le chef de l’État est de mettre fin à des chaînes d’approvisionnements trop vulnérables sur des produits essentiels. Mais pour certains spécialistes, la relocalisation, tant prônée pendant la pandémie, n’est pas la panacée.
"Je pense que la relocalisation est une fausse bonne idée", explique la lauréate du Prix du meilleur jeune économiste, Isabelle Méjean dans Le Monde. "Le problème de la fragmentation des chaînes de production ne provient pas de la distance géographique, mais du niveau de concentration. Relocaliser la production de gants chirurgicaux de Malaisie en Slovaquie ne résoudra pas mécaniquement le problème qui nous concerne aujourd’hui", estime la spécialiste. Comme Isabelle Méjean, l’assureur-crédit Coface appelle plutôt à "diversifier" les fournisseurs, dans une note publiée fin mai.
Une relocalisation sans création d'emplois
Au-delà de la faisabilité d’une souveraineté alimentaire, numérique, sanitaire..., c’est aussi la question du coût de production qui pose problème. Une étude réalisée par AgileBuyer note que, depuis le Covid-19, un quart des entreprises françaises envisagent de relocaliser une partie de leurs achats alors qu’elles étaient 16 % au début de l’année 2020. Mais le prix du Made in France reste un frein considérable car si les entreprises se sont massivement tournées vers les pays asiatiques pour le textile ou l’automobile, c’est que les coûts y sont plus bas. Une des solutions serait donc de miser sur l’automatisation et la robotisation pour réduire les coûts de main-d’œuvre. C’est d’ailleurs ce qu’entend le Président de la République quand il évoque le développement d’usines 4.0.
Déjà lorsqu’il était ministre de l’Économie, Emmanuel Macron évoquait la réindustrialisation de la France à travers une usine du futur. "Elle permettra de rattraper le retard productif de l’industrie française et d’effacer la bataille perdue de la robotisation dans les années 90", expliquait-il alors au magazine Challenges. Or,"les activités relocalisées ne créeront pas nécessairement beaucoup d’emplois pour les personnes moins bien qualifiées car la production deviendra plus automatisée, numérique, intelligente et à haute densité de technologie", écrit l’OCDE dans une note. Un choix risqué politiquement et économiquement alors que la crise sanitaire a largement pesé sur l'emploi hexagonal.
La crainte du repli
Relocaliser aurait cependant l'avantage de réduire l’empreinte carbone des industriels grâce à un moindre recours au transport de marchandises. L’environnement est d’ailleurs un des principaux points de motivations pour les entreprises souhaitant relocaliser leur production. Mais une relocalisation envisagée comme un repli n'est pas forcément le meilleur remède au réchauffement climatique, soulignent des experts.
"Face au défi principal du changement climatique, nous avons besoin d’une mondialisation politique, d’enceintes de négociation pour créer une capacité d’action collective concertée. Un repli de chacun sur son territoire ne permettra pas de mieux gérer les biens communs", avance Thierry Weil, professeur au centre d’économie industrielle de Mines Paris Tech dans une note publiée sur le think tank La Fabrique de l’industrie.
Marina Fabre, @fabre_marina