Publié le 05 septembre 2016

SOCIAL
À quoi servent les accords-cadres mondiaux ?
Les accords-cadres mondiaux sont régulièrement cités par l’Organisation internationale du travail (OIT), les syndicats, mais aussi les entreprises comme un outil efficace pour permettre le respect des droits humains dans les chaînes d’approvisionnement. On n’en compte cependant qu’un peu plus d’une centaine dans le monde. Alors de quoi s’agit-il exactement ? Quelles sont les entreprises concernées ? Que faut-il en attendre ? Novethic fait le point.

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De quoi s’agit-il ?
Pour l’OIT (Organisation internationale du travail), un accord-cadre mondial (ACM) est "un instrument négocié entre une entreprise multinationale et une fédération syndicale mondiale en vue d’établir une relation continue entre les parties et de garantir que l’entreprise respecte les mêmes normes dans tous les pays où elle opère".
Quels sont les sujets abordés ?
Les accords-cadres mondiaux précisent l’obligation qui incombe à une entreprise multinationale de respecter, dans plus d’un pays et souvent dans le monde entier, certaines normes particulières en matière de : droit du travail et de droits sociaux fondamentaux, conditions de travail, relations professionnelles, conditions de santé et de sécurité, formation et dispositions relatives à la protection de l’environnement.
Certains accords sont très larges comme celui d’Inditex conclu avec IndustriALL et portant sur le "travail décent dans la chaîne d’approvisionnement".
D’autres portent sur des points spécifiques, comme celui de Danone sur "l’emploi durable et l’accès aux droits" signé en début d’année avec l’UITA (Union Internationale des Travailleurs de l’Alimentation). L’accord "vise à permettre une amélioration continue des conditions de travail au sein de Danone, par le biais d’un dialogue social constant, à l’échelle locale, entre le management et les salariés" pour "limiter l’emploi à durée déterminée ou externalisé". Et ce, pour toutes ses filiales.
Quels sont les secteurs et entreprises concernés ?
Les accords-cadres mondiaux sont destinés aux grandes entreprises multinationales. Aujourd’hui, ce sont principalement des entreprises de base européenne qui les signent, avec des fédérations syndicales internationales, parfois de concert avec les syndicats locaux.
- Industrie : 49 ACM signés par IndustriALL Global Union, dans l’automobile, la métallurgie, le textile, etc. Exemples : Total, PSA, Inditex, H&M...
- Services : 35 ACM signés par UNI Global Union. Exemples : Carrefour, Securitas, Société Générale...
- Bâtiment et bois : 20 ACM signés par la FSI Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (IBB). Exemples : Ikea, Stabilo...
- Alimentation / hôtellerie / restauration : 7 ACM signés par l’Union Internationale des travailleurs de l’alimentation, de l’agriculture, de l’hôtellerie / restauration, du tabac et des services associés (UITA). Exemples : Danone, Sodexo, Club Med...
- Médias : 1 ACM signé par la Fédération Internationale des Journalistes avec la chaîne Al Jazeera.
Quel est leur champ d’application ?
La plupart des ACM sont applicables dans les filiales du groupe à l’étranger, au moins dans celles où l’entreprise mère a une participation majoritaire. Mais ils peuvent s’étendre aux fournisseurs et sous-traitants, voire aux intérimaires pour les accords les plus récents. Près de 20% des ACM ne comportent cependant aucune indication sur leur périmètre d’application explicite à l’intérieur de leur groupe.
Beaucoup de dirigeants de filiales, de fournisseurs, de sous-traitants ou de syndicats locaux ne connaissent cependant pas l’existence des ACM. Il est donc nécessaire d’associer le plus possible les travailleurs et de relayer l’information, qui plus est dans les différentes langues parlées ou comprises par les travailleurs.
Exemple : H&M a conclu avec IndustriALL et IF Metall un accord-cadre mondial sur le respect des droits fondamentaux dans sa chaîne d’approvisionnement en novembre 2015. L’accord vise spécifiquement les fournisseurs de la chaîne, soit 1,6 million de travailleurs, employés dans 1 900 usines dans le monde. Il garantit et promeut la syndicalisation et la négociation collective et insiste sur le fait que les travailleurs peuvent refuser de travailler dans des conditions qui ne seraient pas sûres pour leur santé ou leur sécurité. Il prévoit également la mise en place des comités nationaux de suivi pour veiller à la mise en œuvre de l'accord, à toutes les étapes, et à faciliter le dialogue entre les différentes parties.
Quelle est leur évolution ?
Si les accords-cadres mondiaux connaissent une croissance continue depuis une quinzaine d’année, on en compte seulement une centaine dans le monde (112, dans 23 pays, en juin 2015). C’est Danone qui a fait figure de pionnier en 1988. Les multinationales d’origine française sont d’ailleurs reconnues comme les plus enclines et les plus nombreuses à signer un accord-cadre mondial, devant l’Allemagne et la Suède.
Selon l’OIT, les ACM s’appuient de plus en plus sur des instruments et des principes internationaux, tels que les conventions de l’OIT, la Déclaration de l’OIT sur les entreprises multinationales, les Principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales ou les Principes directeurs des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’Homme.
Un nombre croissant d’accords-cadres mondiaux – 80% des 54 ACM les plus récents, signés entre 2009 et mai 2015, étudiés par l’ACTRAV dans son document d’information sur les ACM – font référence à la chaîne d’approvisionnement mondiale, mais avec des clauses d’une teneur très variable. 30% des entreprises font du respect des dispositions contenues dans les ACM un critère pour l’établissement et la poursuite de relations commerciales avec des fournisseurs et des sous-traitants.
Quels sont les bénéfices attendus ?
Les accords-cadres mondiaux, qui sont des initiatives volontaires à la discrétion des multinationales, présentent l’avantage d’être le résultat de négociations directes entre les représentants de la direction et des travailleurs d’une entreprise multinationale. Ils pallient en partie le manque de mécanismes mondiaux pour assurer les droits des travailleurs. Ils sont particulièrement utiles dans certains pays qui ne reconnaissent aucun droit aux salariés, mais où les multinationales peuvent être présentes.
Les syndicats de travailleurs y voient le moyen d’établir des relations professionnelles plus démocratiques et par là-même de meilleurs conditions de travail tout au long des chaînes d’approvisionnement mondiales.
Dans les faits, les ACM ont régulièrement servi à faciliter la syndicalisation et à améliorer les relations de travail dans les filiales des multinationales, note le Bureau des activités pour les travailleurs (ACTRAV) de l’OIT. Ainsi, l’ACM conclu entre H&M et IndustriALL "s’avère d’une grande influence dans la résolution des conflits", note le syndicat, quelques mois après son entrée en vigueur.
Les entreprises, elles, mentionnent la poursuite du travail qu’elles mènent en matière de politique sociale et RSE dans leur groupe et/ou leur chaîne d’approvisionnement, l’amélioration du dialogue social et la création de marchés d'approvisionnement stables. C’est aussi bien un signal en direction de l’interne (travailleurs à l’étranger, représentants du personnel, etc.) que de l’externe (investisseurs, fournisseurs, ONG, syndicats, etc.).
Autre avantage : la négociation avec, souvent, un seul syndicat, d’ampleur mondiale.
Quel est le suivi de leur application ?
Pour suivre la mise en œuvre de l’accord, les ACM récents instaurent habituellement des réunions de consultation permanentes et un examen global de l’accord comprenant des visites sur site aux filiales et aux fournisseurs.
Lorsque des violations de l’accord sont constatées, les ACM prévoient souvent dans un premier temps des sanctions, sans que celles-ci ne soient toujours bien précisées. Une violation répétée des normes contenues dans l’ACM peut entraîner une rupture de la relation commerciale.
Le suivi des accords peut cependant s’avérer particulièrement difficile dans des usines et autres sites de fournisseurs et de sous-traitants où il n’existe pas de syndicat.
Certains accords prévoient également la mise en place d’indicateurs de suivi. C’est le cas de Renault qui en a construit 60 avec les partenaires sociaux et les experts métiers et dont la mesure est certifiée.
Bernard Thibault, membre du conseil d’administration de l’OIT pour le collège des Travailleurs, préconise de "rendre le BIT (Bureau international du travail) compétent pour mettre en place un arbitrage sur les différends entre employeurs et travailleurs quant à l’application d’un accord cadre international".