Publié le 05 septembre 2016

SOCIAL
Travail forcé : des esclaves d’État nord-coréens en plein cœur de l’Europe
Privés de leur passeport, amputés d’une partie de leur salaire, travaillant jusqu’à 12 heures par jour, 6 jours par semaine dans des conditions déplorables et obligés de participer à des séances d’éducation idéologique. Voici la situation dans laquelle seraient maintenus des milliers de travailleurs nord-coréens, selon un rapport choc publié début juillet. Il décrit un système opaque et inédit d’esclavage d’État, organisé par le régime nord-coréen de Kim Jong-un.

Vice Media (via Leiden Asia)
Tout est parti d’un fait divers qui a suscité l’inquiétude de l’inspection du travail polonaise. Le 29 août 2014, Chon Kyongsu, un soudeur nord-coréen, décède sur un chantier naval en Pologne, après que ses vêtements ont pris feu. L’inspection du travail découvre alors que "les mesures de sécurité n’étaient pas suffisantes pour garantir un minimum de sûreté au travailleur".
Chon Kyongsu travaillait de dix à douze heures par jour, six jours par semaine. Il ne bénéficiait d'aucun équipement de protection adéquat et, pire encore, une partie de son salaire était confisquée.
Comme lui, des milliers d’ouvriers nord-coréens seraient envoyés de force à l’étranger, afin de remplir les caisses du régime de Kim Jong-un, affirment le Leiden Asia (le centre de recherches néerlandais sur l’Asie) et l’association EAHRNK (Alliance européenne pour les droits de l’Homme en Corée du Nord), dans un rapport publié le 6 juillet.
Ils ont notamment pu recueillir le témoignage d’un Nord-Coréen ayant travaillé dans l’Union européenne : "Un manager nous a dit que les entreprises étrangères nous recrutaient en raison de nos faibles coûts personnels, et qu’ils déduisaient les frais de voyage, logement, gaz et électricité de nos salaires mensuels. Ils ne nous ont jamais dit combien nous gagnions. […] C’est pourquoi aucun de nous ne sait à quel point nous étions exploités", raconte-t-il.
Esclavage étatique
Le système est particulièrement bien huilé. Pour pouvoir envoyer ses travailleurs en Pologne, le régime de Pyongyang s’allie avec des entreprises polonaises peu regardantes sur la provenance de la main d’œuvre, pourvu qu’elle soit bon marché. Ces entreprises servent ensuite directement d’employeurs ou d’intermédiaires pour placer les travailleurs.
Une fois en poste, ces derniers ne touchent qu’une partie de leur salaire (entre 0 et 30%). Le reste atterrit directement dans les caisses du régime. Une manne financière bienvenue alors que le pays fait régulièrement l’objet de sanctions économiques internationales (1).
Pour faire pression sur ces "esclaves d’État", le régime fait peser sur les familles restées au pays des menaces d’exécution ou de déportation dans l’un des nombreux camps politiques. Selon un autre témoignage anonyme recueilli par l’EAHRNK, "pour être éligible au travail à l’étranger, il faut être officiellement marié et que femme et enfants soient restés en Corée du Nord". Les travailleurs se voient également retirer leur passeport à leur arrivée, afin qu’ils ne puissent pas se déplacer.
Outre ces conditions déplorables, les ouvriers nord-coréens seraient obligés, d’après l’ONG, de participer à des séances récurrentes d’éducation idéologique. "L’idéologie est non seulement utilisée comme bâton pour battre les travailleurs, mais aussi comme carotte pour les faire marcher : plus ils gagnent d’argent en monnaie étrangère pour le Parti du travail de Corée, plus ils reçoivent un grade honorifique élevé… ", explique l’association.
L’esclavage aboli en Europe ?
La majeure partie de ces travailleurs est employée sur des chantiers navals, du bâtiment ou dans des fermes en Pologne. Mais l’ambassade de Corée du Nord à Varsovie dément le fait qu’ils se voient confisquer leur salaire. "Tout cela est absurde, a affirmé un fonctionnaire, cité par l’AFP. Personne ne leur prend [leur paye], ils travaillent et gagnent leur argent."
Selon le rapport du Leiden Asia et de l’EAHRNK, des Nord-Coréens travaillent également dans des usines textiles à Malte ou dans d’autres pays comme l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche et les Pays-Bas.
Dans un rapport publié en 2015, le rapporteur spécial sur les droits de l’Homme en Corée du Nord pour les Nations-Unies avait déjà dénoncé cette situation. Selon lui, il y aurait 50 000 Nord-Coréens travaillant à l’étranger, de force, principalement en Chine, en Russie et au Moyen-Orient. Au Qatar par exemple, 1 800 ouvriers nord-coréens prépareraient ainsi les installations pour la coupe du monde de football de 2022.
Au total, ce système de travail forcé rapporterait entre 1 et 2 milliards d’euros au régime chaque année, dont près de 14 millions en provenance de Pologne.