Publié le 13 décembre 2021
SOCIAL
Sherpa : 20 ans de défense des victimes de la mondialisation
L’association Sherpa a lancé, il y a 20 ans, les premières batailles juridiques contre des multinationales pour les rendre responsables des violations des droits humains ou de l’environnement qu’elles commettent dans des terres lointaines. Fondée par l’avocat William Bourdon qui voulait ainsi combattre les "crimes économiques", Sherpa a porté dans les tribunaux des nouveaux concepts comme les Biens Mal Acquis ou le devoir de vigilance. Retour sur une version juridique de David contre Goliath.

Hugo Mickeler
"Lutter contre les crimes économiques pour défendre les victimes de la mondialisation", tout l’engagement de l’association Sherpa est résumé dans cette phrase, en tête de son site Internet. Son arme : utiliser le droit français pour lutter contre les crimes économiques et financiers impunis. Pour William Bourdon, le fondateur de Sherpa, "ces derniers sont au XXIe siècle ce que les crimes de sang furent au XXe siècle".
Sandra Cossart, la directrice de Sherpa explique : "D’un point de vue juridique les multinationales sont une myriade d’entités séparées qui tirent profit du fait d’aller s’installer dans des pays à faible gouvernance où les législations, qu’elles soient sociales ou environnementales, ne protègent pas vraiment et complètement les travailleurs." Elle ajoute : "Le rôle de Sherpa est de mettre la lumière sur ces violations délocalisées des droits en les relocalisant devant les juridictions françaises."
Sherpa est un laboratoire de droit qui lance des contentieux stratégiques pour que les victimes obtiennent réparation. Elle met ainsi en lumière les pratiques condamnables de multinationales. L’objectif est de pousser les États à adopter des régulations portant sur toute la chaîne de sous-traitance comme le devoir de vigilance. Adopté en France, il le sera bientôt en Europe si les États membres parviennent à un accord. À l’actif de Sherpa, il y a aussi les poursuites engagées contre quatre géants du textile dont Zara et Uniqlo pour travail forcé des Ouighours ou celles contre Lafarge pour complicité de crime contre l’humanité parce que le cimentier a payé l’État islamique entre 2012 et 2014 pour laisser ouverte son usine en Syrie.
La restitution de biens mal acquis
L’un des principaux faits d’armes contre la corruption de Sherpa est la confiscation des "Biens Mal Acquis" par Theodorin Obiang, vice-président de la Guinée équatoriale, état africain riche de ressources pétrolières. Ces Biens Mal Acquis sont estimés à 150 millions d’euros et comptent un hôtel particulier avenue Foch à Paris, hébergeant de nombreuses voitures de luxe. Cet été après 14 ans de procédure, Sherpa a enfin gagné la possibilité d'envisager la restitution de ces biens à la population équato-guinéen, une grande première. "C’est une manne très importante pour 1,4 million de citoyens, dont les deux tiers vivent avec moins d’un dollar par jour. Cette somme suffirait à vacciner trois fois l’ensemble de la population contre la maladie du COVID 19" indique Tutu Alicante, avocat exilé de la Guinée Bissau.
Organisation sans équivalent, Sherpa a fêté ses 20 ans le 1er décembre avec une initiative originale : un procès fictif pour mieux dénoncer les attaques dont elle est la cible et rappeler que "la menace du juge est celle qui est la plus efficace contre les acteurs économiques responsables de prédations". Mettre en scène les arguments qui lui sont opposés permet à Sherpa d’y répondre point par point. Quand on lui dit qu’elle ouvre la route à la Chine en bloquant celle des multinationales occidentales, qu’elle fait du paternalisme en voulant appliquer des droits humains "occidentaux" auprès des victimes, ou encore qu’elle freine un développement économique créateur d’emploi et de richesse….
Elle répond que la reconnaissance des droits fondamentaux ne peut pas être un obstacle au développement économique. Elle réaffirme qu’ils sont universels et insiste sur le fait que les multinationales rapatrient leurs bénéfices dans les pays occidentaux. Il est donc logique que les victimes obtiennent réparation de leurs préjudices là où sont localisés les moyens de les payer. Faire le procès des dérives de la mondialisation est un combat long et difficile mais chaque victoire juridique renforce la vitalité d’une organisation qui a démarré "sur une intuition dans une cabine téléphonique" selon son fondateur.
Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT, Directrice générale de Novethic