Publié le 20 décembre 2022
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Sanctions du Parlement européen et gaz qatari : un cocktail explosif aux effets puissants
Le Qatargate déstabilise le Parlement européen mais pourrait aussi aggraver la crise énergétique. L’État du Golfe qui a fait de la Coupe du monde l’emblème de sa stratégie de soft power, a clairement dit que les accusations de corruption contre lui pourraient avoir un "effet négatif sur la sécurité énergétique mondiale". Après la Russie, le Qatar se sert de la dépendance au gaz des économies européennes qui ont passé des contrats d’approvisionnement avec lui, comme arme de dissuasion contre toute sanction.

@Marc Roussel / Total
Pour George Orwell, "le sport c’est la guerre, les fusils en moins". Le bras de fer entre le Qatar et l’Union Européenne en est une illustration. Face aux révélations de corruption à haut niveau, la présidente du Parlement Roberta Metsola a déclaré : "la démocratie est attaquée". Pour contrer le travail de sape des lobbyistes corrupteurs, le Parlement a adopté à une large majorité une déclaration condamnant l’affaire de corruption qui le secoue. Elle demande aussi à ce que soient suspendues toutes les négociations en cours impliquant le Qatar, dont un accord aérien et un autre sur les visas qui avait été adopté le 1er décembre. Il aurait permis aux Qataris de ne pas avoir besoin de visas pour entrer en Europe. C’est le gel de cette disposition qui contrarie particulièrement le Qatar, beaucoup plus que la désactivation des badges d’accès au Parlement le temps de l’enquête.
La Confédération Syndicale Internationale du Travail (CSI) est, elle-aussi, dans la tourmente. Son nouveau président, élu le 22 novembre, l’italien Luca Visentini est mis en examen dans le cadre de l’enquête du Parquet belge. En France, les leaders de la CGT et de la CFDT demandent sa démission. Un audit doit être lancé car la CSI a clairement adouci sa position sur le Qatar peu avant la Coupe du monde. Elle a expliqué que "les conditions d’abolition de l’esclavage moderne avait été remplies" et félicité l’émir et le ministre du Travail du Qatar pour "leur engagement à moderniser leur système de relations du travail". Le système dit de la kafala, qui prive de droits de nombreux travailleurs étrangers dans le pays, est pourtant encore en vigueur et, s’il y a eu des avancées, le revirement de la CSI est surprenant. Le Qatar reste un pays controversé pour son manque de respect des droits humains comme l’explique l’étude dédiée au sujet, publiée sur Novethic Essentiel.
Utiliser le gaz comme arme d’intimidation politique
Jusque-là, le Qatar utilisait le soft power du sport et sa stratégie de lobbying/corruption pour restaurer son image écornée par les appels au boycott. Le 18 décembre, il a franchi un cap : utiliser son gaz comme arme d’intimidation politique. Dans son communiqué, il cible la Belgique qui a lancé l’enquête pour corruption en rappelant que "le Qatar est un important fournisseur de GNL du pays". Selon Le Monde, le Qatar est le deuxième fournisseur de gaz naturel liquéfié de l'Europe, derrière les Etats-Unis. Il a fourni sur les dix premiers mois 2022 16% des approvisionnements du Vieux Continent.
Il trouve "profondément décevant que le gouvernement belge n’ait fait aucun effort pour dialoguer avec notre gouvernement, afin d’établir les faits une fois qu’il a pris connaissance des allégations". Il ajoute : "le Qatar entretient des liens solides et de longue date avec de nombreux pays de l’Union européenne et nous exprimons notre gratitude à ceux qui ont démontré leur engagement envers ces relations au cours de cette vague actuelle d’attaques contre notre pays".
Le communiqué officiel fait allusion au président français qui a fait deux allers-retours dans le pays pour assister à la demi-finale et à la finale des Bleus. L’équipe de France n’a jamais tenté de mettre à l’agenda de la Coupe du Monde l’impossibilité de défendre les droits de la communauté LGBT+ dans le pays hôte. L’équipe allemande l’avait fait, ce qui n’a pas empêché l’Allemagne, de signer quelques jours plus tard un contrat d’approvisionnement de gaz pour les 15 ans à venir avec le Qatar. Mais ce sont des accords de cette nature que le pays du Golfe, auréolé de sa nouvelle notoriété planétaire, pourrait vouloir remettre en cause face aux mesures de rétorsion européennes que se poursuivent.
Avec la guerre de Vladimir Poutine en Ukraine, la diplomatie par le commerce prônée par Angela Merkel a montré ses limites. Avec les menaces qataries sur le gaz, la diplomatie par le sport montre une autre limite. La dépendance énergétique européenne à des pays comme le Qatar lui permet d’acheter bien plus que la Coupe du Monde, le droit de faire taire ceux qui tentent d’exercer une pression sur lui pour qu’il respecte les droits humains fondamentaux.
Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT_, directrice générale de Novethic