Publié le 05 septembre 2016

SOCIAL
Les conditions de travail, sujet majeur de la chaîne d'approvisionnement
Horaires à rallonge, utilisation de produits chimiques sans les protections adéquates, usines ne répondant pas aux critères de sécurité... Les scandales liés aux conditions de travail et de sécurité dans la chaîne d'approvisionnement des entreprises se sont multipliés ces dernières années avec la médiatisation de drames de grande ampleur. De quoi changer enfin la donne ?

BIG / Novethic
Les chiffres font froid dans le dos. Toutes les 15 secondes, dans le monde, un travailleur perd la vie à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle et 160 personnes sont victimes d’un accident lié au travail (1). Chaque année, les coûts directs et indirects des accidents du travail et des maladies professionnelles sont évalués à 2 800 milliards de dollars.
Régulièrement, des scandales révèlent des conditions de travail et de sécurité indécentes (horaires à rallonge, standards de sécurité non respectés pour les bâtiments, manipulation de produits chimiques et toxiques sans protection adéquates…) qui conduisent à ces accidents, particulièrement en bout de chaîne, dans les industries à forte intensité de main d’œuvre et à bas salaire.
Le Rana Plaza, un cas emblématique des conditions de travail et de sécurité des pires formes de sous-traitance
L’un des cas les plus emblématiques est celui de l’effondrement du Rana Plaza, qui a fait plus de 1 100 morts et 2 000 blessés en avril 2013 au Bangladesh. Cet accident, qui a provoqué une prise de conscience mondiale sans pareille sur la face cachée de la sous-traitance, ne doit rien au hasard.
En matière de sécurité, d'abord, les normes les plus élémentaires n'étaient pas respectées. Ce sous-traitant (parfois caché) de grandes marques de textile occidentales avait basé son usine dans un immeuble non destiné à ce type d'usage : le matériel, trop lourd, avait provoqué au fil des ans de graves fissures dont les ouvrières s'étaient plaintes quelques jours seulement avant le drame. Et ce alors que les issues de secours étaient condamnées. Une situation malheureusement courante au Bangladesh, où il a fallu ce drame – précédé par de nombreux autres mais de moindre ampleur – pour mettre en place un accord national sur la sécurité des bâtiments et la prévention des incendies au niveau national.
Quant aux conditions de travail des ouvrières, elles étaient en violations des normes de l'OIT : "il n’y avait pas d’air conditionné, pas de ventilateurs. L’électricité sautait souvent. Nous n’avions aucune pause, hormis pour aller aux toilettes. La plupart du temps, nous n’avions pas même de temps pour manger et quand on en avait, il fallait avaler la nourriture vite fait, derrière la machine à coudre. Officiellement, les journées de travail commençaient à 8 heures et se terminaient à 17h. Mais je faisais souvent des heures supplémentaires, jusqu’à 22 heures. Parfois jusqu’à 3 heures du matin. Je travaillais 7 jours sur 7. Sans repos ni jours fériés", rapporte ainsi l'une des victimes du Rana Plaza.
Les conditions de travail inhumaines des fabricants de smartphone
Autre secteur particulièrement mis en cause pour le mauvais traitement des travailleurs, celui de l'électronique. La face cachée des smartphones a été documentée à de nombreuses reprises par des ONG telle que la China Labor Watch ou des organes de presse.
Au début des années 2010, l'affaire Foxconn défraie ainsi la chronique. Le géant de l'électronique, qui emploie quelque 900 000 salariés en Chine, connait en 2010 une vague de suicides (13 rien qu'à Shenzen) sur les lieux de travail. En cause : des salaires trop faibles, des durées de travail excessives (80 heures par semaine, loin des 36 heures légales en Chine), un management de type militaire exigeant "l'obéissance absolue" et incluant des punitions et des "harcèlements inhumains", des syndicats fantoches, etc. Résultat : Foxconn reste aujourd'hui encore le symbole des conditions de travail qui règnent chez certains sous-traitants de marques telles qu’Apple, Sony, Motorola, HP ou Nintendo.
Des catégories de travailleurs particulièrement vulnérables
Toutes les catégories de travailleurs ne sont pas égales en matière de conditions de travail et de sécurité. Comme l'observe Bernard Thibault, membre du conseil d'administration de l'OIT (Organisation internationale du travail), "souvent, plus on s'éloigne du siège dans la chaîne de sous-traitance et plus les conditions de travail se dégradent".
Parmi les catégories les plus vulnérables : les travailleurs étrangers. Le cas des pays du Golfe (qui peut aller jusqu'au travail forcé) est bien connu, mais dans tous les pays du monde, les travailleurs migrants sont particulièrement victimes de conditions de travail contraires à la dignité humaine. Une situation encore aggravée dans le cas des sans-papiers.
Des conditions de travail indécentes, en Europe aussi
Au sein même de l'Union européenne, de nombreux abus – salaires de misère, manque de protection sociale, horaires à rallonge – sont aussi observés, notamment dans les industries à forte intensité de main d’œuvre, comme le textile (voir notamment le récent rapport sur l’industrie de la chaussure en Europe).
Quant aux intérimaires, ils sont souvent en première ligne des accidents du travail : en France, ils sont 1,5 fois plus victimes d'accidents du travail mortels que les salariés.
Enfin, une catégorie de travailleurs est particulièrement vulnérable au sein de l’Europe : celle des travailleurs détachés (travailleurs issus d'un pays membre de l'Union européenne, chargés par leur employeur d'exercer leurs fonctions dans un autre pays de l'UE). Tant et si bien qu'une réforme de ce statut, basée notamment sur le principe de "à travail égal, salaire égal", est en cours, portée par la Commissaire aux affaires sociales et à l'emploi. Une réforme à laquelle s'opposent 11 États membres...