Publié le 05 septembre 2016

SOCIAL
Le travail forcé, un esclavage moderne dans les chaînes d’approvisionnement
Près de 21 millions de personnes dans le monde sont aujourd’hui victimes de travail forcé. Une grande partie sont exploitées dans des champs, sur des chantiers, des bateaux de pêche ou dans des usines, générant pas moins de 150 milliards de dollars de profits illégaux.

BIG / Novethic
Au Qatar, Nabeel (son prénom a été modifié), vit "comme en prison". Cet ouvrier métallurgiste qui travaille sur les chantiers de la Coupe du monde de football de 2022 n’a pas été payé pendant plusieurs mois. Quand il s’en est plaint, son employeur l’a insulté et menacé de ne pas le laisser quitter le pays, rapporte Amnesty International. Son cas n’est pas isolé. Comme lui, des dizaines de milliers de travailleurs venus du Népal, de l’Inde ou du Bangladesh sont en situation de travail forcé dans le pays.
Si les projecteurs sont souvent tournés vers le Qatar en matière de travail forcé, tant la pratique y est usuelle, il est cependant loin d’être le seul concerné. L’Asie et l’Europe Centrale / Sud-Est (hors UE/CEI (communauté des États Indépendants) sont ainsi particulièrement touchées. En France, on constate également des cas, même s’ils restent souvent isolés, dans l’agriculture ou le travail domestique notamment.
Femmes, enfants et migrants particulièrement vulnérables
Le travail forcé désigne "tout travail ou service exigé d'un individu sous la menace d'une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s'est pas offert de plein gré" (1). Il comprend aussi les cas d’esclavage moderne ou de traite d’êtres humains.
Aujourd’hui, selon l’Organisation mondiale du travail (OIT), ce ne sont pas moins de 21 millions de personnes à travers le monde qui en sont victimes. Un chiffre que l’OIT considère elle-même comme étant une évaluation "a minima". Dans son dernier rapport Global Slavery Index, l’organisation de défense des droits de l’Homme Walk Free parle elle de 46 millions de personnes.
Si l’on se fie aux données de l’OIT, qui restent référentes, 90% des victimes sont exploitées par des particuliers ou des entreprises privées, tandis que 10% sont contraintes de travailler par l’État, par des groupes militaires rebelles ou en prison dans des conditions qui contreviennent aux normes fondamentales de l’OIT.
L’exploitation sexuelle concerne 22% des victimes, tandis que l’exploitation à des fins de main d’œuvre représente 68%. Les enfants représentent environ le quart des victimes. Les femmes et filles plus de la moitié.
Les migrants sont également particulièrement vulnérables (notamment par le biais de la servitude pour dettes) : 29% des victimes se sont retrouvées à exercer un travail forcé après avoir franchi des frontières internationales, la majorité d’entre elles étant contraintes de se prostituer.
150 milliards de profits illégaux chaque année
Dans l’économie privée, le travail forcé génère 150 milliards de dollars de profits illégaux par an, selon l’OIT. 99 milliards proviennent de l’exploitation sexuelle à des fins commerciales, tandis que les 51 autres milliards résultent de la traite à des fins d’exploitation économique : 34 milliards dans la construction, le secteur manufacturé, les mines et les services d’utilité publique ; 9 milliards dans l’agriculture (y compris la foresterie et la pêche) ; et 8 milliards sont économisés par des ménages privés qui ne rémunèrent pas ou qui sous-paient les travailleurs domestiques employés sous la contrainte.
Des initiatives pour prévenir le risque dans la supply chain
Face à cette réalité, de nouvelles lois commencent à voir le jour pour obliger les entreprises à gérer le risque d’esclavage moderne dans leur chaîne d’approvisionnement. C’est notamment le sens du Modern Slavery Act, adopté par le Royaume Uni en 2015 ou du Transparency in Supply Chain Act adopté par la Californie en 2010, qui obligent les entreprises d’une certaine taille à plus de transparence pour prévenir les risques de travail forcé sur leur chaîne d’approvisionnement. Des lois qui ont encore un effet limité.
Des initiatives privées sont également mises en place pour aider entreprises et/ou investisseurs à prendre en compte ces risques comme celles du Responsible Sourcing Network de l’ONG As You Saw sur le cotton et les filières de fil textile. Des filières très touchées par le risque de travail forcé.