Publié le 05 septembre 2016

Cartouche supply chain

SOCIAL

La pression monte sur la chaîne d’approvisionnement

En matière de droits humains, les entreprises font face à des exigences croissantes de la part des acteurs politiques et économiques. De nouvelles législations voient le jour dans certains États, comme les États-Unis, le Royaume-Uni et peut-être bientôt la France. Certaines bourses exigent aussi des entreprises cotées qu’elles rendent des comptes en la matière. Tour d’horizon.

Posco India
En 2013, le gestionnaire du fonds norvégien et le fonds de pension néerlandais APG, actionnaires minoritaire de POSCO India, se sont vus accusés de ne pas avoir pris de mesures appropriées pour prévenir les violations de droits humains.
Raveendran / AFP

Pression de la société civile, des médias, mais aussi des investisseurs et des gouvernements… Les grandes entreprises ne peuvent plus occulter la question des droits humains.

Dans l’Union européenne (UE), une directive oblige les 6 000 plus grandes sociétés cotées à publier des informations relatives à la manière dont elles gèrent les risques en matière de droits de l’Homme et de droit du travail.

Au Royaume-Uni, la loi sur l’esclavage moderne (UK Modern Slavery Act), adoptée le 30 juillet par le parlement britannique, oblige les entreprises réalisant plus de 36 millions de livres sterling (43 millions d’euros de chiffre d’affaires) à publier un rapport sur leur dispositif de prévention de l’esclavage et des conditions de travail inhumaines dans leur chaîne de sous-traitance.

Aux États-Unis, les entreprises qui font des affaires en Californie et dont les revenus mondiaux sont supérieurs à 100 millions de dollars doivent également rendre compte des mesures qu’elles mettent en place pour abolir l’esclavage et la traite des êtres humains dans leur chaîne de valeur (Californian Transparency in Supply Chain Act). Et au niveau fédéral, les entreprises américaines qui investissent au Myanmar, un pays où les droits de l’Homme posent encore de gros problèmes, doivent communiquer leurs efforts de diligence raisonnable en matière de droits humains.

 

Pression de la loi ...

 

Ce ne sont que des obligations de reporting et de transparence mais les entreprises qui ne les rempliront pas et seront mises en cause pour esclavage seront lourdement condamnées. "Même si ce n’est qu’une demande de reporting, cela crée une obligation de transparence dont le respect peut être analysé et comparé. Cela fait bouger les lignes au sein des entreprises, assure Elin Wrzoncki, en charge des programmes "entreprises" au sein de l’Institut danois des droits humains. Grâce à cela, nous progressons sur des dimensions spécifiques. Ces avancées concrètes sont d’autant plus cruciales que nous ne parviendrons peut-être jamais à avoir un traité global et international sur le respect des droits humains." 

En France, une loi demandant aux grandes entreprises d’au moins 5 000 personnes de mettre en place et de communiquer des plans de vigilance destinés à prévenir les violations en matière des droits de l’Homme au sens large est en cours, mais elle n’est pas encore adoptée. En cas de non existence de ces plans de vigilance ou de leur insuffisance, les entreprises risqueront une amende civile pouvant aller jusqu'à 10 millions d'euros.

Outre les lois, les gouvernements utilisent un autre outil pour demander aux grandes entreprises une plus grande transparence : les appels d’offres pour les commandes publiques. C’est le cas aux Pays-Bas, où le respect des conventions fondamentales du travail de l’OIT est une condition pour pouvoir prétendre à des contrats publics. Même chose aux États-Unis, où le gouvernement fédéral requiert désormais un devoir de diligence raisonnable concernant la traite des personnes aux entreprises désireuses de signer des contrats fédéraux.

 

... Pression des investisseurs

 

Autre pression sur les entreprises, celles des investisseurs. Ceux-ci ne veulent pas être accusés de complicité de violation de droits de l’Homme par des entreprises dont ils sont actionnaires. Ce fut le cas pour le gestionnaire du fonds souverain norvégien et le fonds de pension néerlandais APG, actionnaires minoritaire de Posco India en 2013. Ceux-ci se sont vus accusés par des ONG devant l’OCDE (via le mécanisme des "circonstances spécifiques") de ne pas avoir pris les mesures appropriées pour prévenir ou atténuer les violations de droits humains du géant de l’acier.

Pour éviter ce type d’accusation, de nombreux fonds excluent ainsi des entreprises dites controversées, notamment en raison de violations des droits de l’Homme. C’est ce qu'on appelle les exclusions éthiques ou normatives (voir l’étude de Novethic Les investisseurs responsables face aux entreprises controversées, 2012).

Certains fonds (surtout en Europe du Nord) rendent même ces listes noires publiques, exerçant ainsi une pression renforcée par le "name and shame". D’autres préfèrent entamer un dialogue avec l’entreprise, via l’engagement actionnarial. De nombreux investisseurs, 80 au total représentant 4 800 milliards de dollars, soutiennent aussi une nouvelle initiative prometteuse.

En novembre prochain, le Corporate Human Rights Benchmark, un classement public des 500 plus grosses entreprises mondiales de 4 secteurs clés (agriculture, information et communication, textile et industries extractives) sera ainsi publié. De quoi donner un nouvel élan aux pressions financières et médiatiques sur le respect des droits de l’Homme par les grandes entreprises.

Béatrice Héraud
© 2023 Novethic - Tous droits réservés

‹‹ Retour à la liste des articles

Pour aller plus loin

Les droits des travailleurs en danger

2016 est la "pire année en termes d’atteintes à la liberté d’expression et à la démocratie", affirme la Confédération syndicale internationale (CSI) dans son dernier rapport sur l’état des droits des travailleurs dans le monde. Elle constate l'affaiblissement de ces droits dans la plupart...

Responsabilité des entreprises : les grandes références internationales

Les textes internationaux se sont multipliés au cours des dernières années pour affirmer que les entreprises doivent respecter les droits humains. La plupart de ces instruments ne sont pas contraignants mais les États et la société civile peuvent s’appuyer dessus pour inciter les...

Les aspects sociaux et environnementaux de la chaine d’approvisionnement : l’angle mort de la RSE

Malgré la médiatisation de drames comme l’effondrement du Rana Plaza, la performance moyenne des entreprises en matière de gestion responsable de la chaîne d’approvisionnement reste faible. Et ce dans tous les pays. C’est le constat d’une étude sur le respect des droits humains, sociaux et...

Bernard Thibault : "L’OIT peut donner du sens à la RSE"

Pendant deux semaines à compter de ce lundi, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) tient sa 105ème réunion annuelle. Au menu des discussions : le travail décent dans la chaine d’approvisionnement. Pour Bernard Thibault, l’ancien secrétaire général de la CGT devenu membre du...

Devoir de vigilance : "Le mouvement est enclenché, il n’y pas de recul possible"

Les députés ont adopté en deuxième lecture la proposition de loi sur le devoir de vigilance. Celle-ci est destinée à contraindre les entreprises donneuses d’ordre françaises de plus de 5 000 salariés d'adopter des plans de vigilance pour s’assurer du respect des droits humains et...

Devoir de vigilance : les députés adoptent la proposition de loi en 2ème lecture

À 32 voix pour et 1 contre, les députés ont adopté en deuxième lecture la proposition de loi sur le devoir de vigilance des entreprises donneuses d'ordre. Un texte très critiqué par la droite et le patronat. Mais salué par les ONG.

SOCIAL

Droits humains

Le respect des droits humains par les entreprises est devenu crucial pour les investisseurs ou les ONG. Elles dénoncent les violations commises contre des peuples autochtones ou les communautés locales ce qui peut compromettre de nombreux projets, en particulier dans le secteur extractif.

Shein pop up store CHRISTOPHE ARCHAMBAULT AFP

Shein : le géant de l'ultra-fast fashion déstabilisé par une enquête sur des violations de droits humains et environnementaux

Illustration du "pire de l’industrie de la mode", Shein est au cœur des critiques. Visé par une campagne contre la fast fashion à l’occasion du Black Friday, le géant de l’e-commerce fait également l’objet d’une procédure lancée par la cellule française de l’OCDE. Cette dernière devra enquêter sur...

Tuvalu TORSTEN BLACKWOOD AFP

Le Tuvalu, menacé de disparaître sous les eaux, obtient l'asile climatique

L'Australie accorde officiellement l'asile climatique au Tuvalu, archipel du Pacifique menacé de disparaître sous les eaux avant la fin du siècle. Cette première mondiale est un soulagement pour les habitants. Mais l'accord n'efface pas la responsabilité de l'Australie, grand producteur d'énergies...

Greve etats unis automobile

La grève historique chez Ford, Stellantis et General Motors mène à une augmentation de 25% des salaires

La grève des ouvriers a payé. Des accords qualifiés d'"historiques" par le président américain Joe Biden ont été signés avec les trois principaux constructeurs automobiles, Stellantis, Ford et General Motors. Les salariés ont obtenu une hausse des salaires progressive de 25%, une première depuis la...

Ouvrier dubai GIUSEPPE CACACE AFP

Chaleur caniculaire : des dizaines d'ouvriers mis en danger sur les chantiers de la COP28 à Dubaï

Une nouvelle controverse vient bousculer la préparation de la COP28. Une enquête menée sur les chantiers de la prochaine conférence sur le climat révèle que plusieurs ouvriers ont été exposés à des chaleurs extrêmes, les mettant en danger. La COP devrait pourtant être l’occasion d’aborder les...