Publié le 03 avril 2023

SOCIAL

Menaces contre les défenseurs de l’environnement : la France bascule

Incendie de l’office français de la biodiversité à Brest, sabotage de la voiture de la journaliste Morgan Large, menace contre la secrétaire générale d’EELV Marine Tondelier… les actes d’intimidation envers les défenseurs de l’environnement sont de plus en plus visibles en France. Des menaces qui surviennent dans un contexte inquiétant de criminalisation des militants écologistes.

Office francais biodiversite FRED TANNEAU AFP
Un pêcheur tient une fusée fumigène lors d'une manifestation devant l'Office français de la biodiversité à Brest, dans l'ouest de la France, le 30 mars 2023.
FRED TANNEAU / AFP

"Je pourrais vous dire que, dans le monde, trois personnes sont tuées chaque semaine alors qu’elles tentent de protéger leur terre, leur environnement, contre les forces d’extraction". Ces mots sont ceux de l’écrivaine et militante écoféministe indienne Vandana Shiva publiés dans le dernier rapport de Global Witness. L’ONG a recensé plus de 1733 personnes assassinées pour avoir défendu l’environnement dans le monde entre 2012 et 2021. Un décompte sous-estimé tant les enquêtes sont difficiles à mener. Si la France est épargnée par les assassinats, les défenseurs de l’environnement sont de plus en plus victimes de harcèlements ou de menaces.

Dernier en date : l’incendie de l’Office français de la biodiversité (OFB) à Brest le vendredi 31 mars. Jeudi, alors que des pêcheurs protestaient contre un projet européen de restriction de la pêche de fond, des manifestants ont allumé des feux devant le siège de l'OFB, également visé par des jets de projectiles et des tirs de fusées de détresse. Des braises ou des cendres ont pu couver et, attisées par le vent violent qui a soufflé toute la nuit, provoquer le départ de l'incendie dans les combles. "C'est l'hypothèse la plus probable mais cela reste une hypothèse", a déclaré Philippe Setbon. Une enquête judiciaire va être ouverte par le parquet de Brest, souligne la préfecture. La veille, une trentaine de pêcheurs se sont rendus au domicile de la présidente de l’association Sea Shepherd, Lamya Essemlali. Elle raconte : "En arrivant sur place, ils étaient en train de déverser leurs caisses".

"Ne venez pas chez nous, ça va mal se passer !"

Le même jour, mercredi 29 mars, la journaliste Morgan Large, annonçait déposer plainte pour le sabotage de sa voiture. Un sabotage similaire à celui qui aurait pu lui coûter la vie, il y a deux ans. Les écrous de la roue de sa voiture ont été desserrés, la roue aurait pu partir à tout moment. La journaliste d’investigation bretonne est la cible d’actes d’intimidation et de harcèlement – son chien a même été empoisonné- depuis qu’elle enquête sur les dérives de l’industrie agro-alimentaire.

Le 27 mars, c’est la secrétaire nationale d’Europe Ecologie Les Verts (EELV), Marine Tondelier, qui fait l’objet d’un communiqué de presse pour le moins menaçant du président de la chambre d’agriculture de Lot-et-Garonne, Serge Bousquet-Cassagne et de la présidente de la Coordination rurale 47, Karine Duc. "Ne venez pas chez nous, ça va mal se passer !", préviennent-ils. "Vous n’êtes pas la bienvenue, le territoire vous est hostile !". 

L’élue, qui a décidé de se rendre quand même dans le Lot-et-Garonne a publié des messages sur Twitter pour expliquer la situation sur place, elle note : "Plus tard, depuis mon lit dans la chambre d’hôtel, je les entends crier dans la rue, faire beaucoup de bruit. Ils sont saouls. Ils errent dans la ville. Super".

"Tout se passe comme si l’État avait cautionné l’émergence de ce qu’on peut qualifier de "vigilantisme agricole", autrement dit la tendance de certaines fractions du monde agricole à agir en justiciers en dehors de tout cadre légal et à s’assurer de la reproduction de l’ordre social rural par le recours à la violence et à l’intimidation",  écrit dans une tribune Andy Smith, directeur de recherches à la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP).

Alerte des Nations Unies

La France est-elle en train de basculer ? Ces actes d’intimidation sont nourris par un contexte social et politique explosif. Alors que les accusations de violences policières au cours des manifestations contre la réforme des retraites ou les mégabassines de Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres se multiplient, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a apporté son soutien aux forces de l’ordre dans un entretien au Journal du dimanche. Surtout, il annonce la création d’une cellule anti-ZAD (zone à défendre). "Plus aucune ZAD ne s’installera dans notre pays. Ni à Sainte-Soline ni ailleurs", a-t-il déclaré. "Je refuse de céder au terrorisme intellectuel de l’extrême gauche qui consiste à renverser les valeurs : les casseurs deviendraient les agressés et les policiers les agresseurs", soutient-il, justifiant ainsi la dissolution des Soulèvements de la Terre, collectif à l’origine des mobilisations contre les mégabassines. Déjà en octobre 2022, le ministre de l’Intérieur avait qualifié les manifestants de Sainte-Soline "d’écoterroristes".

Une criminalisation qui a de lourdes conséquences. Dans une interview au Monde, le rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement, Michel Forst, explique : "Lorsqu’on criminalise les défenseurs de l’environnement, c’est la cause elle-même qui est mise au ban de la société, et cela a un effet très néfaste sur la réaction du public". Sur la répression envers les manifestants, il ajoute : "Tout cela me semble inquiétant, préoccupant, et c'est la raison pour laquelle il y a lieu d'alerter les instances internationales. Les Nations unis ne vont pas tarder à réagir de manière plus officielle à la situation française". 


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