Publié le 19 septembre 2017
SOCIAL
Employer des réfugiés : un tabou pour les entreprises françaises
Les associations du secteur l'assurent : les entreprises, grandes et moyennes, sont de plus en plus nombreuses à employer des réfugiés. Des initiatives s'inscrivant dans une démarche de responsabilité citoyenne mais qui ne sont pourtant pas valorisées. Elles sont même cachées. En cause : l'acceptabilité. Avec 10 % de chômage en France et les scores élevés du Front National, difficile d'assumer cette embauche.

Ils sont des milliers, tous les ans, à demander le statut de réfugié en France. En 2016, sur les plus de 85 000 demandes d’asiles reçues, la France en a accordé 36 000 (1). Mais contrairement aux années 70-80, "la situation économique éloigne encore plus les réfugiés de l’emploi", affirme Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII). Sans emploi, on s'éloigne aussi de l'intégration.
Une démarche citoyenne selon Zara
Pour remédier à cette précarité, certaines entreprises s’engagent. C’est le cas du groupe Inditex, qui détient plusieurs marques notoires comme Zara, Massimo Duti ou Stradivarius. Depuis plus de 10 ans, "nous intégrons deux fois par an, 15 personnes éloignées de l’emploi", avance Jean-Jacques Salaun, directeur général France de Zara. Il explique qu'à l'origine environ deux à trois individus étaient des réfugiés. Aujourd’hui, "la proportion s’est inversée. On compte environ dix réfugiés pour cinq natifs". Tous obtiennent un contrat à durée indéterminée et suivent en amont une formation.
"On ne s’inscrit pas dans une démarche de RSE (Responsabilité sociétale des entreprises). Nous ne sommes responsables de rien dans cette crise migratoire. On est plutôt dans une logique de démarche citoyenne. On ne cherche pas de retour sur investissement. Nous sommes conscients que nous agissons à petite échelle mais si tout le monde s’y met, on pourrait s’en sortir", explique le DG de Zara.
Avec 10 % de chômage en France, difficile d’assumer l’embauche de réfugiés
Plusieurs entreprises ont choisi d'intégrer l’embauche de réfugiés à leur démarche RSE. "On note une vraie prise de conscience", souligne Alice Barbe, de l’association SINGA. Pourtant, très peu de grandes entreprises souhaitent communiquer sur cette insertion. "Il y a un réel tabou", explique Diane Binder, cofondatrice d’Action Emploi Réfugiés, "il s’avère difficile aujourd’hui pour une entreprise de justifier ce choix. Avec 10 % de chômage en France, le contexte est particulier". D’autant que les scores du Front National ont quelque peu refroidi les bonnes volontés.
Ce qu’il faut ? "Du temps", croit Jean-François Connan, président du comité d’insertion du MEDEF. "Au niveau de la communication, on est sur la même logique que l’insertion des repris de justice. Cela demande du temps en termes d’acceptabilité", souligne le directeur responsabilité et innovation sociale chez Adecco, groupe très impliqué sur la question des réfugiés.
Une multitude d’initiatives mais pas de structure
En juin 2016, lorsque Diane Binder d’Action Emploi Réfugiés a demandé aux grandes entreprises de signer une tribune pour l’insertion professionnelle des réfugiés, très peu ont répondu à l’appel. "Contrairement aux États-Unis, il n’y a pas eu une forte mobilisation du monde de l’entreprise. Nous avons compris qu’il fallait approcher une par une les entreprises pour créer des partenariats", commente-t-elle.
Résultat, des petites initiatives fortes mais disparates sont apparues, sous l’impulsion des associations. "C’est de la dentelle, il faut passer à quelque chose de plus massif", alerte Didier Leschi de l’OFII. Déjà, des projets innovants se multiplient comme cet incubateur, La Fabrique, lancé par l’association Singa à destination des entrepreneurs réfugiés ou cette plateforme de rapprochement entre réfugiés et employeurs conçu par Action Emploi Réfugiés qui prend de plus en plus d’ampleur. 200 entreprises (Le Club Med, Thalès, L’Armée de Terre…) y sont inscrites et y publient des offres d'emploi.
Mais "ce qu’on espère, c’est que les branches se saisissent du sujet et construisent une vraie structure", explique Jean-François Connan du MEDEF, "cela permettrait de faciliter les démarches des entreprises et de faire entrer cette problématique dans un parcours rodé et classique".
Marina Fabre @fabre_marina
(1) dont les protections subsidiaires