Publié le 24 mars 2022
SOCIAL
Dominique Argoud : "On pense que les vieux c'est les autres, jamais soi-même et c'est un problème"
À l'occasion de l'élection présidentielle, Novethic se penche sur ces débats oubliés, ceux qui n'occupent pas le terrain médiatique mais qui sont pourtant vitaux. Focus aujourd'hui sur l'absence de politique de vieillissement en France alors que les personnes âgées sont de plus en plus nombreuses. Pour le sociologue Dominique Argoud*, les nouvelles générations, plus revendicatrices, pourraient provoquer un déclic et pousser à une vraie réforme de société sur ce sujet.

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Comment qualifieriez-vous la politique de vieillissement aujourd’hui en France ?
Le vieillissement n’est abordé aujourd’hui que sous un aspect, celui des retraites, et notamment l’âge de départ à la retraite. C’est moins une référence à une politique du vieillissement qu’à une politique des comptes sociaux. Une réforme d’ampleur n’est pas à l’ordre du jour notamment parce qu’elle impliquerait un engagement budgétaire conséquent. Cela ne peut pas se faire à coups de déclarations et de bonnes intentions. Il faut y mettre des moyens financiers, c’est la première difficulté et cela freine les ardeurs des candidats à l'élection.
Une vraie réforme nécessiterait de travailler dans tous les champs ministériels. Ce serait une réforme de la société et pas seulement de la politique vieillesse. L’enjeu n’est pas seulement de mettre de l’argent dans l’aide à domicile par exemple mais de repenser toute l’organisation de la société en fonction de ce vieillissement, que ce soit les transports, les affaires sociales, la santé, l’écologie, l’urbanisme… Il faudrait arriver, à travers des états généraux, à mobiliser l'ensemble des acteurs autour de cette question et pas seulement les experts. Sinon on aura toujours une réforme partielle alors que l’enjeu est de société.
Pourquoi cette question semble, finalement, si peu concerner les citoyens ?
On a un rapport individuel au vieillissement. C’est-à-dire que les vieux ce sont toujours les autres mais jamais soi-même. On se perçoit rarement comme vieux, si ce n’est pour en plaisanter. Or comme les vieux ce sont les autres, on se sent moins concernés par la problématique. On a certes des parents âgés, des grands-parents… mais c’est une réflexion très centrée sur son cas personnel.
On a l'impression qu’on est en retard d’un train. Il n’y a pas de surprise à attendre puisque les vieux de demain sont déjà présents, donc on peut très largement anticiper la situation. C’est grave parce qu’avec le raisonnement "les vieux ce sont les autres", nous projetons sur les vieux ce qui nous paraît légitime de faire, c'est comme ça qu’on a eu des politiques de protection, voire de surprotection comme durant la période de Covid. Si on demandait leur avis aux gens âgés, ils diraient que ce qu’ils veulent n’est pas d’être surprotégés mais de continuer à vivre. Vous avez un hiatus qui se dessine entre les réponses qui sont imaginées, mises en place et ce que les personnes concernées veulent pour elles-mêmes. Ce sont deux choses différentes. On entend beaucoup dire "moi, jamais je n’irai en Ehpad" alors pourquoi construit-on essentiellement des Ehpad ? Parce que les Ehpad c'est pour les autres, ce n’est pas pour soi.
Est-il possible que la société ait un déclic ?
On a eu la première base de la politique vieillesse en France en 1962. C’est la première fois qu’on envisageait globalement une politique de vieillissement. Celle-ci a posé la question de la place des personnes âgées dans la société, c’est l’essentiel. Depuis, on ne s’est plus jamais interrogé, on a développé plein de mesures, plein de lois, plein de plans… pour résoudre seulement une petite partie de la question.
Aujourd’hui on a tous la chance d’atteindre au moins 60 ans. Le vieillissement sera notre lot commun à tous, ce qui n’était pas le cas des générations auparavant. Les nouvelles générations de personnes vieillissantes voudront demain prendre en main cette problématique. Elles ne voudront pas laisser aux autres le soin de faire des réponses qui ne leur conviennent pas. Pour les plus vieux aujourd’hui, la vieillesse, ils n’y pensaient pas, les solutions s’imposent à eux. Les nouvelles générations sont plus empreintes de valeurs liées à l'autonomie, à la volonté de ne pas se voir imposer par d’autres des choix qu’elles n’auraient pas fait. Elles sont beaucoup plus revendicatrices pour prendre en main leur destinée. Avec le renouvellement des générations, je pense que les choses peuvent changer. Il y a une dynamique qu’on n’a pas connue jusqu’ici.
*Dominique Argoud est enseignant-chercheur à l'Université Paris-Est Créteil. Ses travaux portent sur la sociologie du vieillissement.
Propos recueillis par Marina Fabre Soundron @fabre_marina