Publié le 24 octobre 2019
SOCIAL
Devoir de vigilance : Total, première multinationale assignée en justice pour un projet pétrolier
Six ONG assignent Total en référé concernant son plan de vigilance et sa mise en œuvre effective en Ouganda, où le groupe est l'opérateur principal d'un méga projet pétrolier. Il s'agit de la toute première action en justice au titre de la loi sur le devoir de vigilance des multinationales adoptée en 2017.

@laurent Vicenti
L’assignation contre Total couvait depuis des mois. Les ONG sont désormais passées à l’acte. Deux Françaises et quatre Ougandaises ont assigné Total en référé (procédure d'urgence) devant le Tribunal de grande instance de Nanterre, qui statuera lors d'une première audience le 8 janvier 2020. L’objet de la procédure : le non-respect du devoir de vigilance en Ouganda où le pétrolier conduit un projet pétrolier aux "impacts désastreux", selon les ONG requérantes.
La région des grands lacs
Les ONG dénoncent un projet d'exploitation du pétrole en Ouganda, baptisé Tilanga, dont Total est actionnaire aux côtés du Britannique Tullow et du Chinois CNOOC. Il s'agit d'exploiter les réserves ougandaises du bassin de lac Albert, découvertes en 2006 et évaluées à plus de 1,5 milliard de barils. Total prévoit de forer 419 puits, pour la plupart situés dans le parc naturel des Murchison Falls, pour atteindre une production d'environ 200 000 barils par jour.
Plus de 50 % des espèces d'oiseaux du continent africain sont représentées dans cette région, ainsi que 39% des espèces de mammifères vivant en Afrique. Les ONG visent aussi le futur oléoduc de 1400 km qui doit acheminer le pétrole vers la Tanzanie. Les conditions d'indemnisation et de déplacement des familles qui logent sur les terres convoitées (des dizaines de milliers de personnes) sont au centre des critiques des associations.
Aucune évolution positive
En juin, ces ONG - les Amis de la Terre, Survie, AFIEGO, CRED, NAPE et NAVODA - avaient mis en demeure le groupe, lui demandant de respecter la loi sur le devoir de vigilance, dont l'origine est la catastrophe du "Rana Plaza", un immeuble qui s'était effondré en 2013 au Bangladesh causant la mort de 1138 ouvriers. Adoptée en 2017, elle impose aux multinationales françaises d'établir un plan de vigilance destiné à "prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement" chez leurs sous-traitants ou fournisseurs à l'étranger.
Or, pour les ONG, le plan de Total, publié en mars, est trop parcellaire et, depuis juin, "les associations n'ont constaté aucune évolution positive sur place". Dans un communiqué, Thomas Bart, militant de Survie qui a coordonné l’enquête sur place, dénonce "les impacts désastreux de ce projet se font déjà cruellement sentir pour les milliers de personnes dont les terrains et maisons sont accaparés, pour la biodiversité exceptionnelle de cette région d'Ouganda". "L'enjeu de ce premier cas judiciaire est aussi la juste reconnaissance du contenu réel des nouvelles obligations de vigilance que cette loi impose aux multinationales", selon Juliette Renaud des Amis de la Terre.
Deux attaques contre Total sur le devoir de vigilance
Pour Total en revanche, la loi "retient une approche générale par typologie de risques et ne prévoit pas une publication des risques projet par projet". Par ailleurs, dans une réponse publiée sur son site, Total explique avoir réalisé des évaluations détaillées sur les impacts et mis en place des mesures pour les éviter et/ou les minimiser.
Ce n’est pas le seul projet sur lequel Total est pointé du doigt pour son manque de vigilance. Un collectif d’associations et de collectivités a aussi mis en demeure la multinationale pour le manque de référence au changement climatique dans son plan de vigilance. Pour autant, lors d’une audition devant la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale en septembre dernier, Patrick Pouyanné, le PDG de Total avait affirmé avoir "bien répondu à la loi sur le devoir de vigilance".
Béatrice Héraud avec AFP