Publié le 10 juin 2014
SOCIAL
A Rio, des milliers de familles déménagées pour laisser place aux installations sportives
19 000. C’est le nombre de familles déplacées à Rio de Janeiro depuis 5 ans. Elles sont victimes des travaux liés à la Coupe du monde et aux Jeux Olympiques de 2016. De nombreux acteurs de la société civile dénoncent des conditions d’expulsions portant atteinte à leur dignité. La municipalité réfute toute violation des droits humains et se targue d'une politique d'amélioration de l'habitat sans précédent.
© Victor Roux-Goeken
A la veille de la coupe du monde, Rio de Janeiro reste un vaste chantier. La mégalopole brésilienne a vu les choses en grand. En l’espace de quatre ans, elle aura accueilli trois évènements sportifs de grande ampleur. Après la Coupe des Confédérations, en juin 2013, la « cidade maravilhosa » reçoit à partir du 12 juin, comme onze autres villes, la Coupe du monde de football. Suivront enfin les Jeux Olympiques (JO), qui se tiendront en août 2016.
Ces célébrations sportives ont un coût social élevé : plus de 19 000 familles, vivant jusqu'ici en très grande majorité dans des favelas situées en zone centrale de la ville, ont été déplacées dans des conditions "portant atteinte à la dignité humaine", comme le dénoncent associations, universitaires et habitants.
Nettoyage social
Plusieurs chantiers sont à l'origine de ces expulsions : opération de revitalisation de la zone portuaire en centre-ville, transferts d'habitats situés en zone de risque ou d'intérêt environnementaux, création de lignes de bus rapides pour améliorer la desserte, etc. Les mêmes problèmes surviennent à chaque fois, comme le prouve un rapport consacré aux « méga-événements et violations des droits de l'homme à Rio » paru le 6 juin 2014.
Le Comité populaire de la Coupe du monde et des Jeux olympiques (1) y recense, communauté par communauté, les conditions chaotiques de déplacements, parfois forcés, de près de 20 000 familles. Pour la seule nouvelle ligne de bus Transoeste, 500 ménages ont été contraints de quitter leur foyer entre fin 2010 et début 2011. Ces déplacements se sont faits "sans consultation de la population, parfois sans notification préalable, avec des cas de démolition nocturne de maison, le tout entre Noël et Nouvel An ", énumère Renata Neder, responsable des droits humains pour Amnesty International Brésil. Elle regrette " un manque de planification " des travaux de la part de la ville qui, de ce fait, ne peut trouver une solution adaptée à chaque habitant. Le montant d'indemnisation est insuffisant pour se procurer un logement au même endroit. Pour le Comité populaire, les choses sont claires : ces déplacements sont en réalité des expulsions destinées à servir " une politique de relocalisation des pauvres dans la ville au service d'intérêts immobiliers et d'opportunités commerciales ".
Politique de l'habitat "sans précédent"
La Vila Autódromo, seule favela directement concernée par les JO, est un exemple emblématique de la situation. Créée dans 1960-1970, elle se situe à l'ouest de la ville, dans le quartier aisé de Barra de Tijuca et jouxte le futur site du parc olympique. Un parc auquel doit succéder un quartier d'immeubles de standing d'ici 2030. En quelques années, entre 2007 et 2011, la valeur foncière du secteur est passée de 3 800 réais à 5 700 réais par mètre carré (1 140 à 1 710 euros).
C’est en mars 2014 que les premiers déplacements ont eu lieu. Il existe pourtant un plan populaire d'urbanisme proposant le maintien de tous les habitants dans la zone à un coût inférieur au projet municipal. Un plan crédible et primé en décembre 2013 par un prix d’urbanisme décerné par la Deutsche Bank.
La municipalité réfute en bloc ces accusations et les chiffres avancés par les associations. "738 familles ont été déplacées du fait des travaux liés aux grands événements sportifs, les autres l'ayant été car situées dans des zones à risque environnemental ", rétorque Pierre Batista, le secrétaire municipal de l'habitat de la ville de Rio : " il n'y a au contraire jamais eu de politique de l'habitat aussi ambitieuse à Rio. Et tout le processus de relogement se fait en concertation avec les habitants, en toute transparence. La ville améliore beaucoup la qualité de vie de ses habitants ", insiste-t-il. A lui seul, le programme municipal « Morar Carioca » (habiter à la carioca), destiné à urbaniser d'ici 2020 les 615 favelas de la ville pour les transformer en quartiers « formels », mobilise 8 milliards de réais (2,4 milliards d'euros).
"Choisir où être relogé "
D'ici 2016, ce sont près de 100 000 logements qui devraient être construits dans le cadre d’un plan fédéral d'accession à la propriété. A ce jour, plus de 66 000 ont été livrés. Alex dos Santos Mendanço est l'un des bénéficiaires de ce programme.
Originaire de la favela de Turano, dans la zone nord de Rio, il a « troqué » sa maison située dans une zone à risque environnemental contre un appartement de trois pièces au quatrième et dernier étage d'un immeuble situé dans le lotissement « Bairro Carioca » (quartier carioca). S'il se félicite de l'amélioration de la qualité de vie et de la sécurité de sa famille, il aurait "préféré choisir où être relogé ", et toucher l'argent directement pour construire une maison dans la favela, près de ses proches.
Il n'est pourtant pas le plus mal loti. Le lotissement inauguré en juin 2012, mais toujours en construction, est l'un des rares construits en centre-ville, à deux pas de l’une des deux lignes de métro. Les nouveaux logements - lorsqu'ils sont construits à temps - sont situés en zone périphérique, dans l'ouest de la ville, loin des services et des emplois. " La ville fabrique encore plus d'instabilité pour ces habitants ", conclut Renata Neder.
(1) L'instance rassemble, comme dans d'autres localités hôtes de la Coupe du monde, ONG, universitaires (principalement de l'Université fédérale de Rio de Janeiro) et victimes d'expulsions.
Cet article a est une réactualisation de l'article initialement publié le 22 novembre 2013.