Publié le 30 mars 2022
SOCIAL
"Vous êtes très beau", une campagne efficace démonte les biais sexistes qui pèsent sur les femmes de pouvoir
En apparence classique, les interviews de huit grands patrons détonnent ! "Quelle est votre morning routine ?", "Comment faites-vous pour gérer votre charge mentale au quotidien ?" Si ces questions sont souvent adressées à des femmes dirigeantes d'entreprises, elles ne sont jamais posées à des patrons. La campagne #SiJétaisElles n'hésite pas à utiliser l'humour pour dénoncer le sexisme réservées aux femmes. Les discriminations de genre ne sont pas les seules à bénéficier du traitement humoristique, l'agence Embauche un vieux l'utilisant aussi pour pointer la différence de traitement des personnes jugées "vieilles" pour le recrutement.

Capture d'écran YouTube
"Ne vous inquiétez pas, ça va bien se passer", "vous êtes très beau", "Très beau costume" : les remarques d’Alisson Chassagne, comédienne qui joue l’intervieweuse pour le collectif Sista, déroutent ses interlocuteurs. Ainsi, François-Henri Pinault, pdg du groupe Kering, Frédéric Mazzella, président de BlaBlaCar, Xavier Niel, fondateur de Free, Nicolas Hieronimus, directeur général de L'Oréal, Jean-Marie Tritant, Pdg de Unibail Rodamco Westfield, Philippe Zaouati, DG de Mirova, Thierry Déau, PDG de Méridiam, ou encore Cédric O, secrétaire d'État chargé du Numérique sont totalement désarçonnés par les questions de la journaliste. Et c’est tout l’enjeux de la vidéo satirique intitulée "Et si on posait la même question aux femmes et aux hommes ?".
Par exemple, la journaliste dit à François-Henri Pinault "On va passer maintenant aux vrais sujets : c’est quoi votre morning routine ?" Décontenancé, le PDG du groupe Kering, laisse échapper un éclat de rire incontrôlable. L’embarras de Jean-Marie Tritant est tout aussi palpable lorsque la journaliste lui demande "quels conseils pourraient être adressés à de jeunes hommes". Enfin à la question posée "car tous les journalistes la posent : Est-ce qu’en tant que féministe on vous reproche d’être trop agressif ?", l’incompréhension des patrons est totale !
Pourtant, les questions et les petites phrases assenées lors de cette interview fictive ne sortent pas de nulle part. Une étude intitulée "le traitement médiatiques des entrepreneuses et des dirigeantes" menées par l’agence Mots Clés pour Sista et Mirova Forward, s'appuie sur une fine analyse d'une centaine d'articles de presse. Elle met en exergue les différences entre les question posées à des hommes ou des femmes dirigeantes. En apparence absurdes lorsqu'elles s'adressent à des hommes, ces questions ont bien été régulièrement posées à des femmes qui occupent des postes à responsabilité. Avec cette vidéo, le collectif féministe Sista et le fonds de dotation Mirova Forward veulent ainsi dénoncer cette différence de traitement.
"On est tous malheureusement extrêmement biaisés", constate sur France Info Tatiana Jama, cofondatrice du collectif Sista. Les questions posées dans cette vidéo réalisée par Malmö Productions (société fondée par Shirley Kohn et Camille Cottin) créent ainsi volontairement un malaise. L'objectif est de faciliter une prise de conscience des spectateurs, souligne Tatiana Jama. La campagne milite ainsi pour "une égalité de traitement afin de permettre d’œuvrer à une véritable égalité des chances", indique Mirova Forward.
"Le sexisme ordinaire éloigne les femmes du pouvoir"
Elle illustre également les enseignements de l’étude de Mots Clés qui constate qu'en dépit des nombreuses lois pour faire progresser l’égalité entre les hommes et les femmes, la situation ne s’améliore pas. En effet, les comités de direction des entreprises du SBF 120 comptent seulement 21% de femmes et seules trois femmes dirigent des sociétés du CAC 40. L'agence Mots Clés explique cet immobilisme par le poids des biais de genre et des représentations collectives qui diluent les effets des lois. Elle cite ainsi l’exemple de la différence des questions posées aux femmes et aux hommes dans des contextes pourtant semblables. "Le sexisme ordinaire contribue à écarter les femmes du pouvoir", note l’étude.
Pour accélérer le changement, il faut "agir sur les représentations collectives. Et sur les instances productrices de ces représentations", plaide le rapport. Les auteurs notent que les médias sont au cœur du processus de construction des représentations et ils ont "une responsabilité essentielle dans l’évolution des représentations collectives". L’étude encourage ainsi les médias à repenser le traitement médiatique des femmes qui disposent de pouvoir économique et politique, et à la manière dont ils "entretiennent des stéréotypes de genre préjudiciables à l’égalité femmes-hommes".
Le succès de la vidéo vue 320.000 fois pourrait contribuer à faire évoluer ces stéréotypes. "Les repérer et les comprendre, c’est déjà commencer à les déconstruire", note l’étude. Au cours de l’interview fictive, la réaction de Cédric O montre peut-être un début de prise de conscience : "c’est la répétition qui est agaçante" dit-il. Dans ce combat, l’humour apparaît donc comme une arme efficace !
Autre discrimination, celle des séniors à l'embauche. Une agence baptisée "Embauche un vieux" utilise elle-aussi le ressort de l'humour pour vaincre ces discrimination, avec notamment une campagne de pub avec pour slogan "Vaccinez-vous contre la peur d'embaucher un vieux". Décapant en période de pandémie. Embauche un vieux cherche à déminer les idées reçues sur l'efficacité des personnes ayant dépassé l'âge supposé limite.
Mathilde Golla @Mathgolla