Publié le 15 mai 2014
SOCIAL
Cinéma : une industrie en mal de parité
La polémique avait fait rage en 2012 et 2013 : des groupes féministes avaient dénoncé la prédominance des hommes dans la sélection officielle du festival de Cannes. Les organisateurs de l’évènement, qui s’est ouvert ce mercredi 14 mai, ont visiblement tenu compte de ces critiques. Deux films présentés en compétition sont réalisés par des femmes. Le jury compte 5 jurées féminines sur 9. L’industrie du cinéma reste pourtant une affaire d’hommes comme le prouvent deux études récemment publiées.

© Valery Hache / AFP
Le festival de Cannes n'a jamais été aussi féminin qu'en 2014. C’est ce qu’affirme Thierry Frémaux, le délégué général de la manifestation. Certes, le jury est effectivement présidé par une réalisatrice (Jane Campion). Certes, quatre des huit autres jurés sont des femmes. Mais sur 18 films en sélection officielle, deux sont réalisés par des femmes. Il y n’en avait qu’un seul en 2013 et aucun en 2012. Ce progrès n’est pourtant le reflet d’aucune réalité. L’industrie du cinéma français reste dominée par la gent masculine, comme le prouve deux études récemment publiées.
Des entreprises de production dirigées par des hommes
"Les hommes représentent près de 80 % des responsables d’entreprises de production cinématographique". C'est ce qu'affirme le Centre national du Cinéma et de l'image animée (CNC), dans une étude parue en mars dernier. Le Laboratoire de l'Egalité parvient au même constat dans un autre rapport réalisé en partenariat avec Vivendi et publié fin 2013 : "les discriminations sont très fortes. La place des femmes est minorée dans les postes les plus élevés" affirme Caroline Ibos. Pour l'auteure de l'enquête, "il existe aussi une occultation de leur place, y compris dans les métiers traditionnellement féminins. 90 % des costumiers sont des costumières. Ce sont pourtant des hommes qui font référence", constate la maîtresse de conférence à l'université Rennes 2.
Pour expliquer cette situation, Caroline Ibos avance des raisons communes à toute la société française. Elle cite en exemple le poids de la domination masculine et l'impact de la maternité sur les carrières. S'y s'ajouterait des facteurs spécifiques : "Dans le cinéma il y a des stéréotypes forts. On suppose que les hommes sont plus capables que les femmes. On voit les femmes avant tout comme des actrices". C’est ce qu’avance la chercheuse, qui appuie ses affirmations sur les nombreux entretiens qu’elle a mené avec des professionnels du secteur.
L'étude du Laboratoire de l'Egalité dévoile des chiffres troublants. A la Femis, l’une des plus prestigieuses école de cinéma, 3,5% des extraits de films choisis pour le concours d’entrée ont été réalisés par des femmes. Un chiffre valable pour une période débutant en 1986 et prenant fin en 2012. Jean-Marc Vernier, responsable des admissions à la Femis, admet volontiers ne pas connaître ce chiffre. Mais il récuse tout parti-pris machiste : "on puise dans l'histoire du cinéma. On regarde avant tout si l'extrait a du sens. On ne se pose pas la question du sexe du réalisateur". Conscient malgré tout du problème, il annonce qu'au prochain concours, le film choisi sera réalisé par une femme.
Une charte pour promouvoir l'égalité hommes-femmes
Le 10 octobre 2013, les présidentes du CNC et d'Arte France ainsi que les ministres de la Culture et des Droits des femmes ont signé la "charte pour l'égalité entre les Femmes et les Hommes dans le cinéma". Il s’agit de favoriser la représentation des femmes dans les instances de direction et de "sexuer" leurs statistiques. "Le but n'est pas de mettre en place des quotas. Mais ces chiffres permettront de mesurer la place des femmes dans notre industrie", explique Bérénice Vincent, co-fondatrice de l'association Le Deuxième Regard, qui porte la Charte.
Ces objectifs sont aussi ceux de la directrice de la Responsabilité sociétale (RSE) à Vivendi, Pascale Thumerelle. "Nouer un partenariat avec le Laboratoire de l'Egalité constituait une première étape. Il s'agissait de créer une prise de conscience. Notre volonté est maintenant de recueillir des données chiffrées pour dresser un état des lieux au sein du groupe". La directrice RSE veut aller plus loin. Elle tente d’agir sur l'éducation et la promotion de modèles féminins dans les métiers traditionnellement "masculins" du cinéma.
A la veille de l'ouverture du festival de Cannes, la charte regroupait moins de quinze signataires. "Nous avons envoyé ce document à 50 institutions et entreprises du secteur, la moitié seulement a répondu. Parmi elles, de nombreuses ont opposé un refus. Mais un dialogue a été entamé. Ce qui nous intéresse, c'est que les gens commencent à s'interroger sur leurs choix".