Publié le 12 février 2015

SOCIAL

Les investisseurs boudent les femmes entrepreneures

Les entreprises non cotées dirigées par des femmes sont globalement plus performantes que celles dirigées par des hommes. Pourtant, les dirigeantes ont moins accès aux financements extérieurs pour développer leur entreprise. C’est l'un des enseignements de la dernière étude menée par Women Equity, qui explique ce décalage par des raisons essentiellement culturelles. Explications.

Photo d'illustration
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Les voyants de l’entrepreneuriat de croissance au féminin sont tous au vert: selon le dernier Women Equity for Growth Index, qui analyse les performances de 40 000 PME françaises dont le chiffre d’affaires oscille de 4 à 100 M€, les entreprises dirigées par des femmes affichent de meilleures performances que celles dirigées par des hommes.

D’abord parce qu’elles sont plus nombreuses à voir leur chiffre d'affaires progresser, mais aussi parce que leur croissance moyenne sur trois ans est plus élevée. Tout comme la profitabilité moyenne qui, là encore, est meilleure chez les dirigeantes.

Malgré ces données objectives, un constat s’impose: ces mêmes entreprises gérées par des femmes sont sous-représentées dans les portefeuilles du capital-investissement(1) français.

Comment l’expliquer? "Alors que 15% des PME sont dirigées par des femmes, moins de 4% d’opérations d’investissement sont réalisées sur des entreprises gérées par des femmes. C’est donc une proportion quatre fois moindre! Ce chiffre est très déplaisant à admettre car il ne s’explique pas de manière rationnelle, compte tenu des performances affichées par ces entreprises", analyse Dunya Bouhacène, présidente de Women Equity for Growth.

 

Les investisseurs rencontrent peu de femmes

 

Comme souvent en cas d’inégalités hommes-femmes, les raisons sont à chercher du côté des politiques traduisant la persistance des stéréotypes. Les investisseurs travaillent dans une logique de reproduction des modèles du succès qu’ils ont accompagnés, ce qu’ils nomment "pattern recognition".

Or, ceux-ci ont été construits par un certain type de dirigeants. Il existe un profil type - masculin - que l’investisseur a l’habitude d’accompagner. "De fait, l’investisseur rencontre très peu de femmes dirigeantes", rapporte Dunya Bouhacène.

 

Peu de relais de pouvoir

 

La deuxième explication est d’ordre organisationnelle: l’intermédiation se développe dans le milieu du capital-investissement.

Cette évolution ne facilite pas la donne pour les femmes dirigeantes, comme le souligne Dunya Bouhacène: "Pour trouver les entreprises à financer, les intermédiaires font des relations publiques, analysent les médias et fréquentent les clubs de dirigeants, les associations professionnelles… Le problème, c’est que les femmes y sont massivement absentes! Aujourd’hui, les dirigeantes n’ont pas de relais de pouvoir."

Pourquoi? C’est du côté de la fameuse conciliation vie privée-vie professionnelle qu’il faut chercher la réponse. Comme tous les autres dirigeants, les femmes passent la majorité de leur temps à gérer leur entreprise. Du coup, le peu de temps qu’il leur reste de temps privé, elles l’allouent peu aux réseaux professionnels, car les avantages qu’elles pourraient en tirer restent incertains…

 

Une vision négative du capital-investissement

 

Enfin, dernier élément qui accentue cette sous-représentation des patronnes dans l’investissement en France: elles-mêmes ne connaissent pas le monde du capital-investissement et en ont une vision assez négative.

Dunya Bouhacène résume la situation ainsi: "Ce sont deux mondes qui s’ignorent et ne se rencontrent pas. Tout cela aboutit à ces chiffres qui ont peu de chance de changer, sauf à imaginer des démarches spécifiques visant à faire évoluer les pratiques".

1) Le capital-investissement consiste à prendre des participations majoritaires ou minoritaires dans le capital de PME non cotées. Cette participation finance la création d’entreprise, mais aussi la croissance, la transmission voire le redressement.

Céline Oziel
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