Publié le 15 avril 2014
SOCIAL
L’Inde s’attaque au harcèlement sexuel au travail
L'affaire avait ébranlé l'Inde en décembre dernier. L’arrestation du célèbre journaliste et écrivain Tarun Tejpal pour agression sexuelle sur une jeune collaboratrice a levé le voile sur le phénomène du harcèlement sexuel. Le pays, qui s’est doté fin 2013 d’une loi de prévention contre ce type d'agression sur le lieu de travail, veut à présent briser l’omerta dans les entreprises.

© K M Sharma / The Times Of India
« C’était mon supérieur hiérarchique, il avait environ l’âge de mon père, je le respectais beaucoup. Nous étions partis en voyage d’affaires et nous logions à l’hôtel. Après un rendez-vous avec un client, il m’a demandé de le rejoindre dans sa chambre pour terminer une présentation. Il regardait la télévision assis sur le lit et m’a dit de venir près de lui, puis il m’a touché la cuisse. Un signal d’alarme s’est mis à sonner dans ma tête. Je lui ai dit ʺJe pense que c’est mieux que nous finissions demain, et je suis partieʺ ». Puja (1), employée dans un centre de recherches public à Delhi, raconte au téléphone l’épisode de harcèlement sexuel dont elle a été la victime il y a trois ans. Elle en parlera finalement à sa hiérarchie, qui réprimandera son patron. Mais ils devront encore travailler deux ans ensemble après les faits.
L’histoire de Puja n’est pas un cas isolé en Inde, où les femmes ne représentent toujours que 22% de la population active selon l’observatoire International du travail (OIT). Mais le pays, déjà choqué par une affaire de viol collectif à New Delhi découvre avec stupeur fin novembre 2013 l’arrestation de l’écrivain et journaliste Tarun Tejpal. Le rédacteur en chef du magazine d’investigation Tehelka est accusé d'agression sexuelle sur une jeune collaboratrice.
Une loi sur la prévention du harcèlement sexuel des femmes sur le lieu de travail, jusqu'alors en suspens, est promulguée le 9 décembre . Depuis, pas une semaine ne se passe sans que les médias indiens ne se passionnent pour le sujet, mettant au jour de nouveaux cas, comme récemment les accusations de deux stagiaires contre d’anciens juges de la Cour Suprême.
Au moins 17 % des femmes actives confrontées au harcèlement sexuel
Au-delà de ces cas médiatisés, le harcèlement sexuel reste toutefois difficile à quantifier, car il n’avait pas été défini juridiquement jusqu’à la parution de la loi. D’après une enquête de l’organisation internationale Oxfam publiée en novembre 2012, 17% des femmes actives indiennes ont déjà été confrontées à une situation de harcèlement sexuel. Mais les chiffres réels pourraient être bien plus élevés. « Il y a beaucoup d’hypocrisie autour de ces sujets. En Inde, discuter de sexe est devenu un véritable tabou social », confirme Soum Chakraborty, dirigeant de Corporate Dossier, une société de conseil en ressources humaines. Selon lui, « on rencontre particulièrement ces problèmes dans les centres d'appels, les plate-formes téléphoniques, lorsque les femmes sont raccompagnées en voiture à leur domicile, tard le soir ».
Sensibilisé aux problématiques des violences sexuelles par la grande mobilisation autour du viol collectif de New Delhi en 2012, Soum Chakraborty propose aux entreprises des formations destinées à lutter contre le harcèlement sexuel et à promouvoir la parité homme-femme depuis septembre 2013. Mais beaucoup de sociétés se montrent encore réticentes à aborder ces problèmes avec les salariés. « On me répond en général : ʺNous n’avons pas besoin de ça. Nous ne rencontrons pas ce type de problèmeʺ. Même les femmes DRH ne se montrent pas toujours ouvertes à l’idée », témoigne l'ancien directeur des ressources humaines de Renault en Inde
Des comités sur le harcèlement sexuel dans les entreprises de plus de dix salariés
La demande pour ces ateliers de sensibilisation devrait pourtant augmenter rapidement. Avec la nouvelle loi, toutes les entreprises indiennes de plus de dix salariés sont tenues de mettre en place des comités internes sur le harcèlement sexuel. Présidés par des femmes, ces comités seront en charge du traitement des plaintes. Les plus petites entreprises pourront quant à elles se tourner vers des comités locaux qui assumeront les mêmes fonctions pour toute une zone géographique. Des processus d’enquête et de compensation sont également prévus, ainsi que des sanctions pour l’employeur en cas de non-respect de la loi.
Pour Mahua Roy Chowdhury, avocate en droit des sociétés, ce texte représente une véritable avancée. « Les comités de traitement des plaintes offriront pour la première fois aux femmes actives un forum d’échanges sur le harcèlement sexuel, de manière très accessible. » A condition que les victimes osent faire remonter les faits, et que les entreprises mettent en place les instances nécessaires. Mais l’avocate a bon espoir : « La municipalité de Bombay envoie par exemple des lettres pour demander aux entreprises qui ne l’ont pas encore fait de constituer leur comité sur le harcèlement », rapporte-t-elle. Dans l’organisation où travaille Puja, ce comité a été installé dès la parution de la loi.
(1) Le prénom a été modifié.