Publié le 05 septembre 2016

SOCIAL
Salaire décent vs salaire minimum : le grand écart
Recevoir un salaire vital en contrepartie de son travail est un droit humain fondamental. Pourtant, très peu d’entreprises prennent des mesures concrètes pour s’assurer qu’un tel salaire soit effectivement payé aux travailleurs de leur filière d’approvisionnement. C’est particulièrement vrai en Asie, où les écarts peuvent aller de 1 à 5.

BIG / Novethic
Au Bangladesh ou au Cambodge le salaire minimum versé aux travailleurs du secteur textile est 3 à 5 fois moins important que le salaire vital qui permettrait de couvrir leurs besoins fondamentaux (se loger, se nourrir, éduquer leurs enfants, mais aussi épargner) selon l’Asia Floor Wage (voir infographie).
Ce grand écart est observable dans de nombreux pays, en Asie mais aussi en Afrique ou en Europe de l’Est. Et aboutit à des situations dramatiques. En 2011, plus de 2 400 ouvriers se sont ainsi évanouis d’épuisement dans des usines textile au Cambodge. En cause, "un salaire si faible qu’il ne leur permet pas de se nourrir correctement et des rythmes de travail infernaux", estime le collectif Éthique sur l’étiquette.
Une méthodologie complexe
Aujourd’hui encore, un salaire minimum n’existe pas dans tous les pays. C’est le cas de l’Ethiopie par exemple : dans ce pays devenu en quelques années très prisé par l’industrie textile notamment, le salaire moyen tourne autour des 45 €. En Inde, en Indonésie ou en Chine, le salaire minimum (quand il existe) est fixé par province, ce qui entraîne de fortes disparités (parfois du simple au double) au sein même du pays.
Dans certains pays, comme en Chine, le salaire moyen observé, du moins dans un secteur comme le textile, se rapproche cependant du salaire vital, observe le collectif éthique sur l’étiquette. Cela peut-être dû à la réalisation d’heures supplémentaires qui vont compléter le salaire minimum mais aussi aux négociations collectives au sein des entreprises ou de fédérations professionnelles par exemple.
Quant au salaire vital ou décent, il n’existe pas de calcul universel pour le définir. Pour notre infographie par exemple, nous avons choisi de prendre celui de l’Asia Floor Wage (chiffres 2015 http://asia.floorwage.org/what ), qui reste une référence pour l’Asie mais qui se base sur une fourchette haute. D’autres méthodes existent : celles de l’OIT, celles d’autres associations ou même celles réalisées en propre par des entreprises (voir notre article: "Comment mettre en place un salaire vital").
Un flou méthodologique préjudiciable puisque le fait de ne pas verser un salaire décent constitue une violation des droits humains.
Le cas du secteur textile
Prenons le cas du secteur textile. Pour un T-shirt vendu 29 euros, ce ne sont que 18 centimes environ qui reviennent au travailleur. Le magasin quant à lui empoche 17 euros, la marque 3,60 euros et l’usine 2,20 euros. Un prix extrêmement bas qui n’est possible qu’avec une très forte pression sur les salaires des ouvriers de base.
Depuis quelques années, les campagnes d’ONG comme la Clean Clothes Campaign et les drames comme le Rana Plaza, ont incité les travailleurs à descendre dans la rue, au Bangladesh, en Inde ou au Cambodge, pour demander des revalorisations fortes des salaires minimum à l’Etat ou aux autorités locales.
Mais les marques aussi un rôle à jouer auprès de leurs fournisseurs. Un rôle que, pourtant, elles ne tiennent pas suffisamment, selon le collectif éthique sur l’étiquette. Si l’ensemble des marques et enseignes interrogées (voir la campagne #Soldées) se sont engagées dans un dialogue suivi et ont entrepris des démarches visant à décomposer les coûts de production pour identifier la part du salaire et sa structuration, les mesures concrètes se font toujours attendre. "Hormis l’enseigne Promod pour deux de ses usines, les marques et enseignes ne fournissent pas au collectif de données concrètes sur le salaire réel des ouvriers de leurs usines, ni ne sont en mesure de montrer que leurs études ont conduit à une évolution de leurs pratiques, vers une augmentation significative des salaires, pour se rapprocher d’un salaire vital. Aucune ne montre une prise en compte de la nécessité de faire évoluer ses pratiques d’achats (définition du prix imposé aux fournisseurs), qui indiquerait qu’elle considère sa responsabilité de donneur d’ordre de garantir des salaires décents aux ouvriers qui réalisent ses produits."
Une question aussi dans les pays occidentaux
Le problème des salaires trop bas ne se limite évidemment pas à l’industrie de l’habillement ni à l’Asie. Dans certains pays d’Europe orientale, le salaire minimum est parfois plus bas que dans les pays asiatiques et, dans plusieurs d’entre eux, le salaire minimum se situe même en deçà du niveau de pauvreté défini par le gouvernement.
C’est notamment ce que rappelle un rapport publié en juin par l’ONG suisse La Déclaration de Berne (DB). Celui-ci montre l’envers du décor de l’industrie de la chaussure, des tanneries de Toscane aux usines d’Europe de l’Est. "Alors que le Made in Europe est perçu comme une garantie de qualité et de bonnes conditions de travail, plusieurs enquêtes menées par la DB et ses partenaires internationaux dévoilent qu’en Slovaquie ou en Pologne, des dizaines de milliers d’ouvrières confectionnent des chaussures "italiennes" ou "allemandes" dans des conditions déplorables. Les salaires de misère qu’elles touchent sont souvent inférieurs à ceux perçus en Chine", souligne le rapport.
La question du salaire vital est aussi posée aux États-Unis ou en Angleterre, où des entreprises comme Ikea ou Starbucks mettent en place des salaires vitaux pour leurs employés anglais. À Londres en effet, le "salaire minimum vital" britannique, une nouvelle dénomination officielle trompeuse pour parler du SMIC, est largement insuffisant pour vivre décemment, tant le prix des logements et des transports devient inabordable.
La revendication d’un salaire vital est donc une "demande globale pour une juste répartition de la richesse produite", rappellent les ONG.