Publié le 05 septembre 2016

SOCIAL
Salaire décent : "H&M doit aider à l’instauration d’un dialogue social chez ses fournisseurs"
La marque suédoise H&M s’engage pour la mise en place d’un salaire décent pour les ouvriers du secteur textile. Elle s’est fixé comme objectif que tous ses fournisseurs stratégiques versent des "salaires de subsistance" à leurs ouvriers d’ici 2018. Une mesure qui devrait concerner au total 850 000 travailleurs. H&M refuse en revanche de fixer ce niveau de salaire, ce que regrettent les ONG. Explications de Rémi Crinière, responsable RSE pour H&M France.

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Novethic : Pourquoi H&M s’intéresse-t-elle à la question du salaire décent ou vital ? Et quelle définition en donnez-vous ?
Rémi Crinière : Il est naturel pour une entreprise comme H&M de s’intéresser à cette question. Ce n’est pas nouveau pour nous, cela est ancré dans la démarche éco-responsable du groupe depuis son origine. Toutefois, depuis 2013 (année du drame du Rana Plaza, NDLR), nous avons mené des actions de plus en plus fortes et marquées sur ce problème.
Pour nous, il s’agit d’aller au-delà d’un salaire minimum et d’aider à la mise en place d’un salaire qui serait juste, où chacun puisse être payé correctement, en tenant compte de son expérience, de ses compétences et qualifications, avec un certain nombre d’avantages sociaux. Nous travaillons donc avec nos fournisseurs sur la mise en place d’une grille de rémunération pour que chacun puisse vivre de son salaire. Pour nous, chacun doit pouvoir couvrir ses besoins et ceux de sa famille grâce à son salaire, y compris un revenu discrétionnaire (épargne et loisirs, NDLR).
"Nous ne pouvons pas nous substituer au dialogue social"
H&M refuse de fixer un niveau pour ce salaire décent, ce que critiquent les ONG pour qui un référentiel permettrait de se fixer des objectifs concrets et de mesurer les avancées réalisées. Pourquoi ?
Le problème est souvent mal posé. On se demande pourquoi telle marque ne fixe pas un montant de salaire décent dans ses usines. Mais ce qu’il faut comprendre c’est que nous travaillons avec des fournisseurs et qu’en tant que client, nous ne sommes pas en charge de la définition du salaire. Aujourd’hui, si une entreprise étrangère imposait sa loi en France et décidait de fixer tel niveau de salaire, ce ne serait pas considéré comme normal.
En revanche, notre poids en tant que donneur d’ordre nous permet de travailler, chez nos fournisseurs et dans le secteur du textile en général, à l’instauration d’un dialogue social à travers lequel on puisse arriver à un bon niveau de salaire. Car la question du salaire décent s’inscrit plus largement dans les discussions autour de la mise en place d’un dialogue social. C’est la clé pour avancer. Mais encore une fois, ce n’est pas à nous de fixer ce salaire décent. Il y a des gens mieux placés pour cela.
Notre travail consiste donc à faire en sorte que ceux-ci puissent s’exprimer et que les fournisseurs instaurent des négociations encadrées, ce qui n’est pas quelque chose de naturel, dans les pays d’Asie notamment. Nous ne pouvons pas nous substituer au dialogue social. Et si l’on veut des changements structurels et pérennes, il faut faciliter "l’empowerment" des principaux concernés sur place, à savoir les ouvriers et les fournisseurs.
Concrètement comment cela est mis en place ? Comment travaillez-vous avec les fournisseurs ?
Notre principal levier est notre carnet de commandes. Si le fournisseur n’avance pas sur ces questions, nous ne travaillerons plus avec lui. Les conditions sont clairement posées. Et de notre côté, nous nous engageons également sur un certain nombre de points. Il n’y a pas que les fournisseurs qui doivent faire des efforts.
Nous faisons en sorte que le travail avec nous soit un avantage aussi pour eux dans leur business et les incite à mettre en place un dialogue social pérenne et un salaire décent. H&M s’engage par exemple sur les plannings d’achats, sur des volumes ou encore sur la limitation des pics de production. Plus le fournisseur aura de la visibilité sur son carnet de commande sur une saison, plus il pourra répartir sa force de travail et investir pour améliorer les conditions de travail.
Tous les ans, nous demandons à nos fournisseurs si nous sommes nous aussi de bons partenaires pour eux à travers des enquêtes de satisfaction. Nous nous inscrivons ainsi dans des partenariats gagnant-gagnant avec des fournisseurs avec lesquels on travaille parfois depuis 20 ou 30 ans.
Un travail de lobbying
Comment travaillez-vous avec les ouvriers et les gouvernements locaux ?
Nous mettons en place des comités de participation des travailleurs, qui prennent des noms et des formes différents en fonction des pays, certains étant plus consultatifs et d’autres plus décisionnaires. Auprès des gouvernements, nous réalisons un travail de lobbying, non pas sur l’instauration d’un salaire décent mais sur celle d’un salaire minimum qui soit révisé très régulièrement et de façon concertée. Ainsi, un groupe comme le nôtre peut exprimer son souhait de voir instaurer un salaire minimum et en contrepartie, nous nous engageons à ne pas délocaliser la production dans d’autres pays plus avantageux.
Depuis trois ans, il y a eu des augmentations très fortes dans de nombreux pays, mais les gouvernements doivent aller plus loin pour travailler par exemple sur la limitation de l’inflation ou de l’augmentation du prix des loyers. C’est un problème qui dépasse l’industrie textile, mais sur lequel nous pouvons avoir un rôle à jouer.
Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontés notamment dans des pays où la représentation syndicale est difficile voire impossible ?
Les obstacles sont principalement liés à la culture des pays dans lesquels nous sommes implantés. Le dialogue social n’y est effectivement pas forcément quelque chose d’habituel. Cela signifie qu’il faut former aussi bien les fournisseurs que les syndicats.
Au Bangladesh, nous avons ainsi installé un centre de formation dédié à nos fournisseurs et aux représentants du personnel sur place pour expliquer ce que sont des élections libres, des représentants libres, etc. Nous avons déjà plus de 40% de nos fournisseurs qui ont bénéficié de sessions de formation. Notre objectif est que 100% de nos fournisseurs sur place aient des comités de participation librement élus en 2018, au plus tard. Nous travaillons pour cela avec des ONG et avec l’OIT (Organisation Internationale du Travail), notamment au Bangladesh et au Cambodge.
Ce qui a changé, c’est la collaboration entre entreprises
Sur le salaire décent, vous avez commencé par trois usines pilotes qui travaillent exclusivement pour vous au Cambodge et au Bangladesh. L’objectif est de toucher tous vos fournisseurs stratégiques d’ici 2018, soit 850 000 ouvriers. Où en êtes-vous ?
Nous avons effectivement démarré dans trois usines qui travaillent à 100% pour H&M, pour dépasser la théorie, vérifier que cela fonctionnait et convaincre ensuite d’autres fournisseurs. En 2015, 68 usines supplémentaires ont rejoint le projet et cette année, il devrait y en avoir encore 80 dans la boucle.
De manière générale, dans nos usines pilotes, le turn-over et l’absentéisme ont très fortement diminué. Les heures supplémentaires, par exemple, ont été réduites de 45 à 50% et, dans le même temps, le salaire à la fin du mois a augmenté, de même que la productivité.
Voyez-vous une évolution sur la prise en compte des droits humains dans la chaîne d’approvisionnement dans votre secteur ?
Les choses évoluent vite. Beaucoup plus vite qu’avant. Les problèmes se posent désormais à plus grande échelle et beaucoup plus d’entreprises sont conscientes de ces enjeux et mettent des actions en place. Ce qui a changé selon moi, c’est la collaboration entre entreprises, notamment au sein d’initiatives comme ACT (Action, Collaboration, Transformation), qui réunit une vingtaine de marques textile et le syndicat international IndustriALL (avec lequel la marque a signé un accord-cadre international, NDLR) pour avancer sur la question des salaires décents dans les pays producteurs de vêtements. Cela permet d’avoir davantage de moyens d’actions et de pression sur un gouvernement ou sur un fournisseur.