Publié le 24 avril 2023
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Amazon : plongée au cœur de l'entrepôt du futur
Des bacs noirs qui tournoient au-dessus des têtes, des étagères géantes qui se déplacent toutes seules, une lumière qui pointe à l'employé l'emplacement exacte où il doit récupérer un article... Bienvenue dans l'entrepôt du futur d'Amazon, à Augny, près de Metz où cohabitent gilets oranges et robots bleus.

@CA
"Et voici la verrue", lâche le chauffeur de taxi en me déposant au pied de l’entrepôt Amazon à Augny, le dernier-né des entrepôts logistiques du géant américain en France. Baptisé ETZ2, il est situé dans un petit village pavillonnaire, tout près de Metz, dans l’Est. Le bâtiment de 180 000 mètres carré sur quatre niveaux – le plus grand des huit centres de distribution que compte l’Hexagone – construit sur une ancienne base militaire, est doté des robotisations les plus avancées.
La première étape se passe au niveau des quais de réception, là où les camions, remplis de marchandises, arrivent. L'un d'entre eux est en train d’être déchargé. À l'intérieur, les nombreux cartons, entreposés en vrac, s’entassent jusqu’au plafond afin d’optimiser au maximum l’espace. "On vise 100% de flux sans palette à terme", indique Pierre-Louis Debroise, qui a fait l’essentiel de sa carrière chez Amazon, où il a commencé comme stagiaire pour devenir aujourd’hui le directeur du site, à seulement 29 ans.
La marchandise envoyée par les fournisseurs du groupe est contrôlée et vidée dans des bacs en plastique noirs qui tournoient ensuite à un rythme effréné au-dessus de nos têtes afin de rejoindre les différents étages sur des tapis roulants.
"C’est un bordel organisé"
Au premier étage, nous rencontrons Mike, 36 ans, embauché en CDI en janvier dernier. En cette fin de matinée, il est chargé de mettre en stock les articles dans de grandes étagères jaunes. Ces armoires de deux mètres où sont rangés tous les articles vendus par Amazon se déplacent à l’aide de robots bleus qui ressemblent à des grands robots aspirateurs. Mike y range les produits un peu au hasard. "C’est un bordel organisé, on range tout avec tout, reconnaît Pierre-Louis Debroise que nous interrogeons du regard. L’intelligence artificielle enregistre chaque geste effectué par le salarié pour savoir où a été rangé le produit. Ce rangement aléatoire correspond aux commandes des clients et nous permet d'optimiser les flux."
Mike, qui enchaîne le rangement des articles – avec une moyenne de 280 par heure selon le score affiché sur l’ordinateur à côté de lui - est plutôt content de sa reconversion. "Avant, j’ai travaillé dans la menuiserie, puis le déménagement. J’avais envie d’un boulot plus tranquille avec des horaires fixes. Ici c’est beaucoup plus reposant, on est au chaud, au propre", nous raconte-t-il. Du lundi au vendredi, il embauche à 6h15 et termine à 13h45, ce qui lui permet de faire du sport, d’aller à la pêche et de s’occuper de ses enfants, témoigne-t-il.
Ouvert en août 2021, le site compte près de 4 000 salariés embauchés en CDI et aucun intérimaire à date. Il se classe ainsi comme le premier employeur privé de Moselle. "C’est la plus importante création d'emplois depuis l'installation de l’usine Citroën", se réjouit François Grosdidier, le maire de Metz. Selon une étude réalisée par le cabinet Roland Berger, 60% des salariés ont moins de 35 ans et un faible niveau de qualification, répondant à la devise du groupe : "pas besoin de diplôme chez Amazon".
"Il faut suivre le rythme des robots"
À l'instar de Benjamin, 27 ans, en intérim pendant un an avant d’être embauché en CDI il y a quatre mois. "J’ai enchaîné plusieurs boulots au McDonalds et dans différents commerces. Globalement, je préfère travaille ici", nous confie le jeune homme plutôt réservé. Lui, est affecté au "picking", la 3e étape du process qui consiste à récupérer dans les étagères jaunes les articles commandés par les clients. C’est l’ordinateur qui lui indique ce qu’il doit faire, une lumière lui pointe même l’emplacement de l’article sur l’étagère. Benjamin doit ainsi remplir les bacs au gré des indications de l'ordinateur.
"Nous avons essayé d’automatiser tout ce qui pouvait l’être. Là en l’occurrence, sur le "peaking", c’est un geste qui ne peut pas être effectué par un robot puisque, contrairement à des boîtes de chaussures standardisées, ici chaque produit a une taille différente, nous avons donc encore besoin d’humains", nous explique David Lewkowitz, le président d’Amazon France Logistique. Mais pour les syndicats, l’automatisation n’est pas forcément synonyme de meilleures conditions de travail.
"Il faut suivre le rythme des robots, ça laisse beaucoup moins de marges que si c’était un humain, témoigne auprès de Novethic un délégué syndical du site d'Augny qui préfère rester anonyme. Au début, je surperformais, je tenais le rythme, mais au bout d’un an, mon genou m’a lâché. On ne peut pas tenir sur la durée." Il déplore également la pression des managers pour tenir les cadences. "Ils peuvent venir nous voir jusqu’à cinq fois dans la journée pour nous expliquer comment bien effectuer les gestes" raconte-t-il.
Mi-mars, en parallèle des grèves contre la réforme des retraites, une trentaine de salariés d'Augny se sont également mobiliser pour réclamer des hausses de salaire. Un accord, signé par quatre des cinq organisations syndicales représentatives, a finalement été trouvé pour une augmentation des salaires de 7,8% en moyenne. Une hausse qui comprend la prime de partage de la valeur, une méthode de calcul dénoncée par la CGT qui a refusé de signer l'accord.
"Améliorer les flux"
Du côté d’Amazon, on assure que les cadences ne sont pas surveillées et que les chronomètres sur les postes de travail ne sont là que pour donner un ordre d’idée afin "d’améliorer les flux". Quant aux gestes répétitifs, Pierre-Louis Debroise, le directeur du site, indique qu’"il y a une rotation sur au moins deux postes différents proposée chaque jour à la pause pour ne pas solliciter toujours les mêmes muscles".
Pour clore la visite de l’entrepôt mosellan, nous retournons au rez-de-chaussée pour la dernière étape du process, le packing, autrement dit l’emballage. Ici, exit les robots, des dizaines de salariés s’affairent à emballer les commandes en transférant les articles des bacs vers les cartons. Ces-derniers défilent à toute vitesse avant d’être étiquetés et envoyés aux quatre coins de la France et des pays limitrophes. Impossible cependant de savoir combien de colis sont ainsi préparés et envoyés, la direction refuse de communiquer un chiffre précis. On part en tout cas de là avec le tournis.