Publié le 05 septembre 2016

SOCIAL
Réglementation des minerais du conflit : "l’accord européen est une victoire sur laquelle il faut être vigilants"
Le Parlement européen, la Commission européenne et le Conseil européen ont signé un accord pour réglementer le commerce des "minerais du conflit". Les importateurs européens d'étain, de tantale, de tungstène et d'or devront ainsi s’assurer que leur approvisionnement n’alimente pas de conflits armés. L’eurodéputée Marie Arena a mené le combat au sein du Parlement, en tant que référente pour son parti (SND). Elle revient sur cette avancée significative qui peut, selon elle, ouvrir la voie à l’assainissement d’autres chaines d’approvisionnement.

Herwig Vergult / Belga Mag / Belga / AFP
Novethic : Pourquoi le compromis européen sur les minerais du conflit a-t-il été si compliqué à obtenir ?
Marie Arena : Au début des années 2000, plusieurs rapports réalisés par les Nations Unies sur le lien étroit entre l’exploitation d’un certain nombre de minerais et les zones de conflit ont fait grand bruit. Ils alertaient sur le fait que beaucoup de produits informatiques contenant ces minerais et que nous étions donc complices de ces conflits, l’Europe étant le second marché au monde pour la vente de tablettes, smartphones ou ordinateurs portables.
En 2014, la Commission européenne s’est saisie de la question et a fait une proposition, assez timide : elle se basait sur le volontariat pour ne pas entraver la compétitivité des entreprises. L’OCDE, de son côté, a émis des lignes directrices (recommandations) pour les entreprises qui se situent dans ces zones de conflit et qui exploitent ces minerais ou pour les entreprises qui se trouvent dans cette chaîne d’approvisionnement.
C’est à partir de là que nous avons commencé à travailler sur le sujet au niveau européen avec, d’un côté, des partis conservateurs qui ne souhaitaient surtout pas entraver la compétitivité des entreprises, et, de l’autre, des progressistes (socialistes et démocrates), la gauche radicale et les Verts qui œuvraient pour une démarche beaucoup plus contraignante. C’est dans ce second camp que je me situe. Mais nous avons perdu la première bataille en commission du commerce international.
Qu’est-ce qui a finalement permis de faire bouger les lignes ?
Nous avons décidé de mener le combat à l’intérieur de la plénière. Le Parlement européen a obtenu une majorité pour adopter une législation contraignante sur toute la chaîne, depuis les mines jusqu’au produit final, en appliquant les principes de l’OCDE de manière obligatoire. Un point de vue bien différent de celui défendu par la Commission.
Il a ensuite fallu convaincre le Conseil. Là encore, la difficulté était importante. D’un côté, une partie de ses membres ne connaissaient pas cette réalité et n’avaient donc pas de motivation à réglementer. De l’autre, certains membres avaient sur leur territoire des entreprises concernées et ils ne souhaitaient pas entraver leur compétitivité.
Nous avons donc dû ouvrir le jeu de la négociation dans un trilogue (Commission européenne, Parlement européen, Conseil européen). Il s’est alors passé quelque chose qui sort de l’ordinaire : la Commission est revenue avec une nouvelle proposition. Celle-ci rendait obligatoire la due diligence dans la partie amont de la chaîne d’approvisionnement (upstream), pour toutes les entreprises importatrices d'étain, de tantale, de tungstène et d'or. Cela a permis d’ouvrir le dialogue et de convaincre le Conseil. Chacun a mis un peu d’eau dans son vin. Et il est important de souligner le changement de position de la Commission, qui a permis d’arriver à un compromis de cette nature, ce qui est assez rare.
"Une obligation de transparence"
Dans le cadre de la loi Dodd Frank de juillet 2010, les Américains exigent que les sociétés cotées en bourse aux États-Unis déterminent si leurs produits contiennent un ou plusieurs des quatre minerais – l’étain, le tantale, le tungstène et l’or – provenant de la RDC ou de l’un de ses neuf pays limitrophes. Pourquoi ne pas avoir suivi leur exemple ?
La loi américaine a créé dans un premier temps un certain embargo dans les zones de conflit qui ont été limitées à la région des Grands Lacs. Cela a impacté négativement certains creuseurs locaux qui vivaient de l’exploitation des minerais. Selon moi, la solution ne peut pas consister à quitter ces zones mais plutôt à tenter de les assainir.
Le Dodd Frank Act n’est donc pas efficace. D’une part, parce qu’il est limité à une région et d’autre part, parce qu’il demande aux entreprises de montrer patte blanche plutôt que de mettre en place un processus de transparence et d’analyse du risque. Cette loi nous a servi de leçon pour ne pas reproduire les mêmes erreurs au niveau européen. La réglementation européenne s’oriente donc vers une obligation de transparence pour les entreprises importatrices de minerais et de métaux (fondeurs et raffineurs inclus), en amont.
Comment cela va-t-il se traduire concrètement pour elles ?
Les entreprises doivent être actrices du changement et non complices de crimes. Nous leur demandons de mettre en place des dispositifs de transparence, de produire des analyses de risque afin de démontrer qu’elles réduisent la possibilité d’alimenter des conflits armés. Ces rapports d’audit réalisés sur la base des principes directeurs de l’OCDE devront être rendus publics pour que la société civile puisse vérifier que l’effort réalisé est suffisant.
Le règlement prévoit aussi la reconnaissance des schémas industriels. Pas mal d’entreprises européennes sont déjà rentrées dans des processus de due diligence pour des raisons d’image. Nous avons donc voulu les valoriser. Cela permet aussi de prouver à ceux qui disaient que cette réglementation était une entrave à la compétitivité, que si ces schémas industriels avaient pu se faire, c’est bien parce que les entreprises y étaient gagnantes. Oui, cela prend du temps, oui cela coûte à l’entreprise mais en même temps, en termes d’image, cela peut aussi rapporter.
2 ans pour faire preuve d'efficacité
Qu’en est-il pour les entreprises qui se situent dans le reste de la chaîne, en aval ?
Évidemment, mon groupe et moi-même aurions préféré que toute la chaîne d’approvisionnement entre dans l’obligatoire. Mais si nous avions maintenu cette position, il n’y aurait pas eu de législation du tout et donc aucune avancée. Il nous aurait fallu dix ans supplémentaires pour remettre sur la table une nouvelle proposition. Ce n’est pas un risque que nous voulions prendre.
Avec cet accord, nous avons obtenu que 100% du volume des métaux et des minerais importés en Europe soient tracés. Pour les autres entreprises de la chaîne, en aval, désireuses d’aller vers plus de transparence, nous avons obtenu une clause de révision, qui se traduit par la mise en place d’un registre par la Commission européenne. Au bout de deux ans, si le downstream (aval de la chaîne) ne rentre pas dans la logique de due diligence, nous reverrons alors la législation pour les contraindre elles aussi. Nous avons donc en fait donné du temps aux entreprises situées en aval pour qu’elles se mettent à leur tour en conformité.
C’est une victoire sur laquelle nous devons rester très vigilants car il faut que les instruments de suivi fonctionnent. Il faut que nous ayons un dispositif qui nous permette d’évaluer clairement l’action des entreprises en aval pour pouvoir activer la clause de révision correctement. Cette période de deux ans va donc être très importante quant à l’efficacité de cette législation et l’assainissement de la totalité de la chaîne. Selon moi, il faut viser plus de 50% du downstream qui entre dans la due diligence pour estimer que c’est suffisant.
Cela fait dix ans que vous travaillez sur cette question des minerais issus des zones de conflit, pensez-vous que nous sommes à un tournant ?
La "conscientisation" est beaucoup plus forte aujourd’hui qu’elle ne l’était qu’il y a quinze ou vingt ans. Cela est notamment dû au fait que des organisations de la société civile tentent de faire ouvrir les yeux aux consommateurs européens pour qu’ils soient eux aussi acteurs du changement. Que l’on soit de droite ou de gauche, il est inacceptable que notre consommation soit un permis de tuer les êtres humains sur d’autres continents.
Ce premier pas dans l’assainissement de la chaîne d’approvisionnement des minerais des conflits pourra par ailleurs être mis à profit pour travailler sur les autres chaines, notamment celle du textile. Si la loi française sur le devoir de vigilance était adoptée, ce serait également un signal fort envoyé aux autres États membres.