Publié le 21 février 2014
SOCIAL
Pas de syndicat pour les salariés d'une usine américaine de Volkswagen
Dans le Tennessee, les salariés d'une usine Volkswagen ont refusé par référendum l'implantation du syndicat UAW. Une défaite cinglante pour le syndicat d'autant que, pour une fois, la direction de l'usine ne lui était pas hostile: l'arrivée du syndicat devait permettre d'établir un comité d'établissement, cher au modèle social allemand, mais inconnu aux USA.
Le comité d'entreprise, structure inconnue aux Etats-Unis |
Le comité d'établissement ou d'entreprise est une notion parfaitement inconnue aux Etats-Unis, où la représentation collective des salariés est du ressort exclusif des syndicats. Les juristes estiment qu'un comité, même régulièrement élu, ne pourrait prétendre représenter légalement les salariés que si un syndicat représentatif dans l'entreprise lui déléguait ce pouvoir, ce qui figurait en toute lettre dans l'accord qu'avait signé VW et l'UAW à Chattanooga. Sans cette «délégation» syndicale, un comité ne pourrait avoir au mieux qu'un rôle consultatif, toute négociation lui étant strictement interdite, estiment les experts. La solution pour l'usine VW de Chattanooga est désormais la constitution d'un syndicat indépendant dans l'usine, pour prendre le rôle que l'UAW aurait dû jouer. Mais pas question pour VW d'y aider: la loi américaine est très stricte contre les « syndicats maison ».
|
Par 712 voix « contre » et 626 voix « pour », les salariés de l'usine Volkswagen de Chattanooga, dans le Tennessee, ont rejeté la semaine dernière l'arrivée du syndicat automobile UAW, décidant de se maintenir sans représentation collective face à la direction. Une claque pour le syndicat automobile: celui-ci espérait parvenir à sortir de son bastion traditionnel -les trois grands constructeurs automobiles américains- et prendre pied enfin dans le sud des Etats-Unis, dans l'une ces usines implantées depuis les années 80 par des constructeurs étrangers, des terres non syndicalisées et à la main d'œuvre moins chère.
L'UAW partait avec de bons atouts. Une majorité de salariés était favorable à son arrivée, selon les décomptes réalisés par les émissaires du syndicat. La direction de Volkswagen affichait de son côté une certaine bienveillance. Les deux parties s'étaient engagées à négocier la constitution d'un comité d'établissement, structure clef dans le modèle de gestion à l'allemande. Chattanooga était quasiment la seule usine du groupe à ne pas être dotée d'une telle structure.
Bataille républicaine contre l'implantation du syndicat
Mais les adversaires de l'UAW, élus républicains en tête, se sont mobilisés en masse, expliquant que le syndicat apporterait la ruine de l'industrie automobile du Sud, comme il avait déjà ruiné celle du Nord. Un argument de poids, alors que les Américains ont encore en mémoire le quasi-naufrage des grands constructeurs américains en 2008, et la faillite de Detroit, la capitale de l'automobile américaine. Des élus républicains ont menacé de couper les aides fiscales à l'usine si l'UAW parvenait à s'implanter. Le gouverneur du Tennessee, le républicain Bill Haslam, a affirmé que l'arrivée de l'UAW dissuaderait des sous-traitants automobiles de venir dans l'Etat tandis que le sénateur Bob Corker, l'un des artisans de l'arrivée de l'usine à Chattanooga (2011), a annoncé que si l'établissement rejetait l'UAW, il serait récompensé par la fabrication d'un nouveau véhicule pour le marché américain. Une affirmation immédiatement démentie par le patron de l'usine, Frantz Fischer. Mais le sénateur a maintenu son propos, évoquant des «conversations» avec de hauts responsables de VW... sans donner plus de détails.
Au sein de l'usine même, les opposants à l'UAW ont su s'organiser et développer une argumentation efficace auprès de salariés plutôt contents de leur sort (VW paye comparativement bien à d'autres constructeurs automobiles) et anxieux de ne pas mettre en péril leur travail. « Rappelez-vous, à peu près la moitié des cotisations que vous paierez à l'UAW sera envoyée directement au syndicat à Detroit », « si vous ne voulez pas adhérer à l'UAW (et payer les cotisations), l'UAW saura qui vous êtes et vous harcèlera, jusqu'à ce que vous payiez... ou partiez » ont-ils martelé.
La représentation syndicale en crise
Après les résultats, le président de l'UAW, Bob King, présent sur place, a exprimé sa déception, d'autant plus grande que le syndicat a mis en place depuis plusieurs années une approche moins conflictuelle et plus collaborative avec le patronat. « Les gens qui nous ont attaqué ont attaqué la coopération entre salariés et management (...)Ils ne croient pas que travailleurs et management puissent travailler ensemble. Nous, nous y croyons », a déclaré M. King.
De son côté l'entreprise a indiqué qu'elle ne renonçait pas à son projet d'implanter un comité d'entreprise. « Tout au long de ces débats, nous avons rencontré un grand enthousiasme pour l'idée d'un comité d'établissement à l'américaine », a souligné Frantz Fischer, le patron de l'usine. Gunnar Killian, le secrétaire général du comité d'entreprise de VW en Allemagne, a indiqué qu'il se rendrait lui-même aux Etats-Unis pour étudier avec des juristes une nouvelle stratégie.
Quant à l'UAW, elle va tenter de poursuivre ses efforts d'implantation chez les constructeurs étrangers, chez Mercedes-Benz à Vance (Alabama) ou chez Nissan à Canton (Mississippi). Mais l'échec de Chattanooga -l'implantation qui paraissait la plus facile- augure mal de la suite, relève la presse américaine. Depuis 1979, le syndicat a perdu les trois quart de ses effectifs. Le taux de syndicalisation aux Etats-Unis est de 11,3% en général, et de 6,7% dans le secteur privé.