Publié le 21 juillet 2014

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SOCIAL

La Bolivie légalise le travail des enfants, malgré le droit international

En Bolivie, être enfant et travailler dans la rue ou dans les champs est "normal". Ce qui l’est moins, c’est le choix du gouvernement de légaliser cet état de fait en abaissant l’âge minimum pour travailler à 10 ans. Cette décision, prise il y a quelques jours, contrevient à la convention de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). C’est un échec pour tous ceux qui luttent contre le travail des enfants. Mais une victoire pour les syndicats des enfants-travailleurs, à l’origine même de cette revendication.

Manifestations pour le travail des Enfants Bolivie la Paz
En Bolivie, les enfants réclamaient depuis des années la légalisation du travail infantile. La photo ci-dessus a été prise dans les rues de La Paz en 1999.
Gonzalo Espinoza / AFP

Ils cirent des chaussures ou vendent des cigarettes dans les rues de La Paz, gardent les troupeaux, travaillent dans les champs de canne à sucre ou dans les mines (1)... Et pourtant, ils n’ont pas 14 ans, l’âge minimum légal pour que les enfants exercent un "travail léger" dans les pays dont l'économie ou les institutions scolaires ne sont pas suffisamment développées, selon la convention 138 de l’OIT dont la Bolivie est signataire.

Dans ce pays de 10 millions d’habitants, près de 850 000 enfants travaillent aujourd’hui en Bolivie, essentiellement dans les zones rurales. Ils représentent près de 30% des 5-17 ans(1). La moitié d’entre eux le font dans des "conditions dangereuses",  selon un rapport sur les conditions de travail infantiles.

La Bolivie s’est engagée à éradiquer les pires formes de travail infantile, en signant la convention 182. Pourtant, le président Evo Morales vient de promulguer une loi, adoptée en ce début de mois par le Sénat et l’Assemblée nationale, légalisant le travail des enfants à partir de 10 ans. Une mesure à rebours et qui suscite un ardent débat national et international.

 

Travailler à son compte dès 10 ans

 

Le tout nouveau Code sur l’enfance et l’adolescence ne modifie pas la limite d’âge de travail officiel. Elle est maintenue à 14 ans. Mais deux exceptions changent considérablement la donne. Si l’enfant le souhaite, qu’il obtient l’aval de ses parents et l’autorisation de la Defensoria de la Niñez y Adolescencia (l’équivalent de notre Défenseur des droits), et que son travail ne nuit ni à son éducation, ni à sa santé et à son développement, il peut travailler dès 12 ans pour le compte d’un employeur (6 heures/jour au maximum).Et même dès 10 ans pour son propre compte.

Le texte est présenté par le gouvernement bolivien comme un "équilibre" entre les conventions internationales et la réalité du pays. Et comme un moyen  d’éradiquer l’extrême pauvreté, un objectif fixé pour 2025 par Evo Morales. "Le travail des enfants est très présent en Bolivie. Il s’agit donc davantage d’une formalisation d’un état de fait. Il est très accepté socialement par les classes populaires, qui ne l’opposent pas à l’éducation de leurs enfants, qui reste aussi très importante. Certains enfants travaillent d’ailleurs pour se payer leurs cahiers ou le ticket de bus qui les mène à l’école. D’autres travaillent la journée et vont à l’école le soir et vice versa", souligne Robin Cavagnoud, docteur en Études des sociétés latino-américaines de l’Institut des Hautes Études de l’Amérique latine (IHEAL) de l’université Paris III – La Sorbonne Nouvelle, actuellement en mission à La Paz.

"Ce qui peut paraître surprenant, c’est qu’il s’agit d’une demande des enfants eux-mêmes. En Amérique latine, il existe de nombreux syndicats de travailleurs enfants. Celui de Bolivie, l’Unatsbo (l'Union des enfants et jeunes travailleurs de Bolivie)  compte près de 10 000 membres. C’est lui qui est à l’origine de cette demande de reconnaissance", précise  le chercheur, qui a déjà travaillé sur ce même sujet au Pérou.

 

Une demande des syndicats des enfants travailleurs

 

Dès sa création, en 2011, l’Unatsbo avait proposé une loi  "pour la reconnaissance, la promotion, la protection et la défense des droits des enfants et jeunes travailleurs". Fin 2013, lors de la réflexion autour de la réforme du Code du travail, le syndicat avait multiplié les manifestations de mécontentement contre le maintien de l’âge minimum légal à 14 ans. Au départ refoulés par la police, les représentants de l'Unatsbo avaient été personnellement reçus par Evo Morales, qui avait lui-même travaillé pendant son enfance comme vendeur de glaces. 

Sa décision de répondre favorablement à la demande de l’Unatsbo est cependant loin de faire l’unanimité dans le pays. En cette période préélectorale, l’opposition – toujours minoritaire, selon les sondages d’avril qui placent Morales en grand gagnant de la présidentielle d’octobre prochain – tire à boulet rouge sur une réforme qu’elle dénonce comme contraire aux droits de l’enfant. Quant aux ONG (organisations non gouvernementales), beaucoup s’y opposent, mais plus mollement que dans d’autres pays d’Amérique latine, note Robin Cavagnoud.

L’Unicef, l’organisation des Nations unies pour la protection de l’enfance, alerte notamment sur le travail des enfants boliviens dans les mines, les champs de canne à sucre, la pêche ou la collecte de déchets. Des cas où les entreprises peuvent être exposées à travers leur chaine d'approvisionnement.  

Le porte-parole de l’Organisation Internationale du Travail a indiqué à l’AFP qu’elle enquêtait sur la nouvelle loi bolivienne. Deux volets inquiètent particulièrement l’OIT : la protection du droit des enfants dans le cas d’une participation aux tâches agricoles familiales, et la participation de l’enfant à des tâches dangereuses (voir la déclaration de l'OIT).

1) voir le reportage d'arte
2) Données de l’Institut national de statistiques, 2008.
Béatrice Héraud
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