Publié le 06 octobre 2022
SOCIAL
France Télécom : le harcèlement moral institutionnel est confirmé en appel
La Cour d’appel de Paris a allégé les peines de Didier Lombard, ex-PDG de France Télécom, et de son numéro deux Louis-Pierre Wenès. Mais elle confirme le harcèlement moral institutionnel mis en place par les dirigeants du groupe dans les années 2007-2008 pour pousser des salariés au départ, et qui avait conduit à une vague de suicides dans l’entreprise.

@Lionel Bonaventure / AFP
Il aura fallu plus de dix ans pour que l’affaire aboutisse. La Cour d’appel de Paris a condamné des anciens dirigeants de France Télécom pour harcèlement moral institutionnel. Elle confirme un jugement du tribunal correctionnel du 20 décembre 2019, qui avait pour la première fois validé cette notion. Les peines de Didier Lombard, ex-PDG de France Télécom, et de son numéro 2 Louis-Pierre Wenès ont été allégées, ils ont chacun obtenu un sursis total pour leur peine d’un an de prison, mais ils devront bien payer 15 000 euros d’amende. L’ancien DRH du groupe, Olivier Barberot qui avait également été condamné par le tribunal correctionnel à un an de prison, dont huit mois avec sursis, et 15 000 euros d’amende, n’avait pas fait appel.
La décision de justice arrive plus de dix ans après les faits. En 2007-2008, les dirigeants du groupe, devenu Orange depuis, avaient mis en place une politique de réduction des effectifs "jusqu’au-boutiste". Le groupe avait annoncé la mise en place d’un plan social visant à supprimer 22 000 postes en trois ans, sur un effectif total de 120 000 personnes. Didier Lombard avait décrit devant des cadres du groupe sa volonté de pousser les salariés au départ "d’une façon ou d’une autre, par la fenêtre ou par la porte". Les méthodes brutales de l’entreprise avaient fortement détérioré le climat social provoquant une vague de suicides.
Un jugement historique
Celui d’un technicien marseillais, en juillet 2009, avait déclenché la crise au sein de l’entreprise. Il avait mis en cause les méthodes de France Télécom dans une lettre, faisant le lien entre son geste et le management de l’entreprise. Plusieurs dizaines d’autres suicides, ainsi que des tentatives de suicide et des cas de dépression, ont été reconnus comme étant liés aux conditions de travail et aux méthodes de management du groupe. Celui-ci est rapidement devenu un symbole de la souffrance au travail et avait, en tant que personne morale, été condamné à verser 75 000 euros d’amende pour des faits de harcèlement moral institutionnel.
"C’est un jugement historique qui condamne la violence sociale comme méthode de management", se félicite Sébastien Crozier, président du syndicat CFE-CGC d’Orange. La notion de harcèlement moral institutionnel se distingue de celle du harcèlement moral traditionnel dans lequel un lien direct existe entre l’auteur des faits et sa victime. Dans le cas de France Télécom, les dirigeants n’avaient aucun lien avec les victimes, mais le juge admet que c’est la politique de l’entreprise qui avait pour conséquence le mal-être des employés. Il caractérise le harcèlement institutionnel comme étant des décisions qui "ruissellent", sans que ne soit nécessaire un lien hiérarchique entre l’auteur et la victime.
Cette jurisprudence de la Cour d’appel pourrait être utilisée dans d’autres cas, pour prévenir les risques professionnels. La CFE-CGC d’Orange indique ainsi dans un communiqué qu’elle pourrait "servir de levier pour limiter les risques et défendre les salariés contre des pratiques qui se poursuivent malgré le jugement de première instance".
Arnaud Dumas avec AFP