Publié le 25 février 2016
SOCIAL
Crise du marché du travail : sécuriser l'emploi plus efficace que la flexibilité
Alors que la réforme du code du travail de Myriam El Khomri ne passe pas en France, l’Organisation internationale du travail (OIT) dresse un bilan bien pessimiste de l’état du marché de l’emploi dans le monde. Face à une économie globale qui ne parvient pas à se redresser, le chômage va encore augmenter dans les prochaines années. Et avec lui, les emplois vulnérables et le nombre de travailleurs pauvres. De quoi raviver les tensions sociales et provoquer d'importantes migrations.

Eric Piermont / AFP
"Pire que Sarkozy", "une contre-révolution", "un reniement", "un retour au 19ème siècle"... Les critiques ne manquent pas à l’égard du projet de réforme du code du travail de la ministre Myriam El Khomri.
Le texte, qui doit être présenté en conseil des ministres le 9 mars, n’est guère salué que par le Medef et quelques élus Les Républicains. L’avant-projet, dévoilé dans la presse la semaine dernière, déclenche une véritable levée de boucliers au sein même du gouvernement, de la majorité - et notamment de la part de Martine Aubry - des syndicats, regroupés en intersyndicale, et plus largement encore. Une pétition contre le projet de loi, mise en ligne vendredi, a déjà recueilli plus de 500 000 signatures.
Présenté comme un modèle de "flexisécurité", le projet de loi contient certaines propositions, comme la semaine de 60h, le salaire modulable, la remise en cause des conditions de licenciement ou encore le plafonnement des indemnisations prud’homales, qui ont pourtant bien du mal à passer. Certains ironisent : il y aurait, finalement, plus de "flexibilité" que de "sécurité"...
Mais le Premier ministre a promis qu’il irait jusqu’au bout de cette réforme, qu’il assure "utile" pour lutter contre le chômage. Manuel Valls aura tout de même fort à faire pour convaincre ; cette réforme intervient en effet dans un contexte général de précarisation.
Plus de 200 millions de chômeurs en 2017
Dans son rapport annuel sur l’emploi et les questions sociales dans le monde, l’Organisation internationale du travail (OIT) dresse un bilan alarmant : la récession économique mondiale ne semble avoir pour horizon qu’une hausse du chômage et une précarisation aggravée pour les travailleurs. "Pour faire face à la pauvreté accrue, il faut davantage insister sur le volet sécurité des travailleurs que sur le volet flexibilité", explique ainsi Raymond Torres, directeur du département de la recherche du Bureau International du travail (BIT).
En 2015, la croissance mondiale, autour de 3%, s’est avérée plus faible encore que prévue, et elle devrait stagner en 2016 et 2017 selon les différentes prévisions, bien en-deçà des taux affichés avant la crise de 2008. En cause : le ralentissement des économies émergentes et en développement, telles que la Chine, le Brésil et la Russie.
"L’environnement économique instable, associé à des flux de capitaux volatiles, des marchés financiers toujours dysfonctionnels et une demande mondiale insuffisante, continue d’affecter les entreprises et d’avoir un effet dissuasif sur l’investissement et la création d’emplois", argumente Raymond Torres. Cela a pour impact une augmentation du chômage mondial. En 2015, 197,1 millions de personnes étaient sans emploi. C’est 27 millions de plus qu’en 2007. Elles seront plus de 200 millions dans deux ans. Et d’ici 2020, moins de 59% de la population en âge de travailler aura un emploi.
Même si les pays émergents seront les plus touchés, en France, selon les prévisions de l’OIT, le chômage ne devrait pas repasser sous la barre des 10% d’ici 2017 avec encore 2,9 millions de chômeurs.
Toujours plus de travailleurs pauvres et précaires
Ce ralentissement de la croissance pose également la question de la qualité du travail et du niveau de rémunération. Les emplois existants sont ainsi de plus en plus vulnérables. 46% des travailleurs dans le monde, soit 1,5 milliard de personnes, sont dans une situation de grande précarité, sans contrat de travail, évoluant dans l’économie informelle et disposant d’un accès très limité à une protection sociale. "Cela tend à devenir de plus en plus courant chez les travailleurs salariés", note Raymond Torres.
Les avancées en matière de réduction du nombre de travailleurs pauvres sont au point mort, alors que d’importantes avancées avaient été réalisées ces dernières années. En 2015, 327 millions de travailleurs se trouvent dans une situation d’extrême pauvreté et 967 millions en situation de pauvreté modérée ou de quasi-pauvreté. Depuis les années 2000, l’OIT observe notamment une augmentation des travailleurs pauvres en Europe avec une hausse des emplois temporaires à la semaine ou à la journée.
Seuls 10% des chômeurs touchent une indemnité
Pour redresser la situation, l’organisme préconise l’adoption de politiques misant sur la qualité et la quantité des emplois et qui tendent à pallier les inégalités de revenus. Les élus "doivent davantage mettre l’accent sur le renforcement des politiques d’emploi et s’attaquer aux inégalités excessives. Il est plus qu’évident que des politiques sociales et de marché du travail bien conçues sont indispensables pour stimuler la croissance économique et traiter la crise de l’emploi. Presque huit ans après le début de la crise mondiale, nous avons besoin de toute urgence de renforcer cette approche politique", ajoute Raymond Torres.
Il convient aussi de renforcer et d’étendre les systèmes de protection actuels à d’autres catégories. "Actuellement, le taux de couverture de l’allocation chômage est loin d’atteindre les 100%, dit-il. 10% des chômeurs dans le monde seulement perçoivent une indemnité. Dans des pays comme l’Italie, ce taux est même de moins de 50% !"
Il faut également adapter le système aux nouvelles technologies et aux nouvelles formes de production, avec la mise en place de droits transférables. En France, c’est l’objectif du Compte personnel d’activité (CPA), qui fait partie du projet de loi El Khomri. Il vise à regrouper l’ensemble des droits attachés à la personne qui contribuent à la protection des actifs ainsi qu’à la sécurisation de leur parcours professionnel ; il doit être mis en place au 1er janvier 2017.
Enfin, il faut un rééquilibrage des politiques publiques en insistant sur l’instrument budgétaire plus que monétaire, afin de relancer l’investissement public. Car, prévient l’OIT, la nouvelle détérioration de la situation économique entraîne une résurgence des troubles sociaux, notamment dans les pays en développement, où la proportion de la classe moyenne, après avoir augmenté, a tendance à stagner.
De plus, le fait que le chômage massif touche particulièrement les jeunes – un chômeur sur trois a moins de 25 ans – peut être un "déclencheur des mouvements politiques et sociaux". Des jeunes qui pensent de plus en plus à migrer pour trouver du travail, de "façon plus ou moins ordonnée", précise le directeur de recherche.