Publié le 02 avril 2020

SOCIAL

[Édito] Crise sociale : la politique de l’autruche n’est pas une option... et pourtant !

Dans l’état de sidération où est plongée la France pour cause de confinement, tout semble gelé dans un jour sans fin pour ceux qui ne sont ni malades, ni soignants. Et pourtant la crise sociale, conséquence inévitable de la crise sanitaire et économique, couve et elle sera terrible pour tous ceux, nombreux, qui n’ont pas de filet de protection. Les alertes se multiplient sur la nécessité de prévenir les dérives en tous genres, justifiées par la protection de l’emploi. Alerte sur le risque S pour Social, risque majuscule !

Livreurs coronavirus ArieBotbol HansLucas AFP
Malgré le confinement en cours, les livraisons de produits essentiels ou non continuent en France.
@ARieBotbol/HansLuca/AFP

"Les précaires seront aplatis", dit, dans le journal Elle, Esther Duflo, lauréate du prix Nobel de l’économie pour ses travaux sur la pauvreté. De son côté l’écrivaine Annie Ernaux a fait une lettre ouverte, lue sur l’antenne de France Inter, au premier des dirigeants politiques : "Prenez garde, Monsieur le Président, aux effets de ce temps de confinement, de bouleversement du cours des choses. C’est un temps propice aux remises en cause. Un temps pour désirer un Nouveau Monde. Pas le vôtre ! Pas celui où les décideurs et financiers reprennent déjà sans pudeur l’antienne du ‘travailler plus’, jusqu’à 60 heures par semaine".

Les avertissements se multiplient sur les risques de voir basculer dans une précarité plus grande encore les travailleurs pauvres qui sont déjà très exposés aux risques sanitaires parce qu’ils travaillent sans protection comme ambulancier(e)s, aides à domiciles, caissier(e)s, livreurs… Avant l’épidémie de Covid-19, la France était déjà en crise sociale après avoir enchaîné les Gilets Jaunes et la plus longue grève de transports qu’elle ait jamais connue. Le débat sur les retraites s’est finalement peu focalisé sur les droits sociaux et la répartition des richesses. Mais ils sont pourtant au cœur de la réalité sociale des Français, si peu égaux sur des sujets essentiels comme le logement, la santé, l’alimentation ce qu’explique très bien, la sociologue Marie Durut Bella.

Protection des salariés

Le recours massif au chômage partiel renforce ces inégalités. Fin mars, 337 000 entreprises en ont fait la demande, et, le 2 avril, le cap des 4 millions de salariés concernés a été franchi, soit un salarié sur cinq ! Ces chiffres vertigineux renvoient aux questions que le gouvernement a laissé en suspens balançant entre les impératifs sanitaires et la nécessité de maintenir une activité économique minimale. Qu’est-ce qu’un travailleur essentiel à son entreprise ? Dans quelles conditions travaillent ceux qui restent ? Qu’est-ce qu’une activité vitale ? Autant de questions auxquelles les entreprises apportent des réponses à géométrie variable.

La seule recommandation gouvernementale repose sur des guides pratiques décrivant les gestes barrières à mettre en place, métiers par métiers. Muriel Pénicaud, ministre du Travail, interrogée sur France Info début avril, a répété que la protection des salariés n’était pas négociable mais sans mettre en place de dispositifs de sanctions, à l’image des PV dressés contre les personnes qui ne respectent pas le confinement. C’est pourtant crucial pour les employés sommés de travailler malgré le risque sanitaire et social qui pèse sur eux.

Les entreprises qui pratiquent le moins disant social continuent à faire tourner des entreprises. Dans le cas des entrepôts d’Amazon, les conditions de précarité sanitaire sont dénoncées depuis deux semaines par les syndicats et les ONG environnementales. Dans un communiqué, publié le 1 er avril au moment où un salarié était placé en réanimation à Brétigny sur Orge, ces organisations rappelaient que les cas de Covid-19 se multipliaient dans les six entrepôts principaux du géant de la distribution et que non seulement "500 à 2000 salariés s’y croisent mais aussi que de nombreuses personnes s’entassent dans des bus pour se rendre sur des lieux de travail très excentrés pour acheminer des produits dont plus de 90 % ne sont ni alimentaires, ni sanitaires".

Prendre en compte le facteur social

Appelant la ministre du travail à suspendre l’activité d’Amazon, Alma Dufour, chargée de campagne aux Amis de la Terre concluait : “On ne comprend pas qu'Amazon soit autorisé à poursuivre une activité aussi peu essentielle, faisant courir de tels risques aux salariés". Le géant mondial de la livraison est un cas d’école pour les investisseurs appelés à mieux prendre en compte le facteur S d’ESG.

Fiona Reynolds, la directrice des Principes pour l’Investissement Responsable, les rappelait à leurs devoirs le 27 mars sur Bloomberg "Les investisseurs ont accordé trop peu d’attention aux formes d’exploitation sociale rassemblée sous le terme de Gig Economy. Leur recherche éperdue de bénéfices financiers a laissé des millions de travailleurs dans des conditions précaires que la fermeture des entreprises à cause du Covid-19, va laisser encore plus démunis, sur le plan de la santé comme de l’emploi"

Anne-Catherine Husson-Traore,  @AC_HT, Directrice générale de Novethic


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