Publié le 09 juin 2016

SOCIAL
Carton rouge pour les sponsors de l’Euro 2016
Alors que le coup d’envoi de l’Euro 2016 sera donné demain au stade de France, le Collectif Éthique sur l’étiquette sort le carton rouge pour les trois principaux sponsors de l’événement : Nike, Adidas et Puma. En cause, leur modèle de développement, qui mise davantage sur les paillettes et le marketing plutôt que sur l’instauration d’un salaire vital pour leurs fournisseurs asiatiques. Les trois équipementiers sont en train de quitter la Chine, où le niveau des salaires grimpe enfin, au profit de pays moins-disant socialement, à l’instar du Vietnam. Explications.

Jefri Tarigan / Anadolu Agency
Prenons le maillot d’une équipe nationale de football participant à l’Euro 2016 fabriqué par Adidas. Il est vendu en moyenne 85 euros au consommateur. Sur cette somme, selon les calculs du Collectif Éthique sur l’étiquette, la part reversée aux ouvriers n’est que de… 65 centimes. C’est trois fois moins que les dépenses consacrées au marketing et au sponsoring à l’autre extrémité de la chaîne.
C’est ce grand écart que dénonce l’association dans son rapport "Anti-jeu, les sponsors laissent les travailleurs sur la touche", publié le 1er juin avec le Basic (Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne). Et ce constat s’applique aussi bien au maillot Adidas qu’à la paire de Nike Air Jordan. Sur 140 euros, son prix moyen de vente au consommateur, seul 1,6%, soit 2,40 euros, sont consacrés aux salaires des travailleurs.
Ce poste de dépenses n’a cessé de se réduire : il y a 20 ans, il représentait 4% du prix de vente final. Aujourd’hui, les coûts de fabrication des produits ne représentent plus que 51% à 54% des chiffres d’affaires de Nike, Adidas et Puma. Une part qui ne permet pas d’assurer un salaire décent aux travailleurs, c’est-à-dire un salaire suffisant pour que ces derniers puissent accéder aux besoins fondamentaux tels que le logement, l’énergie, l’eau potable, la santé, l’éducation et les loisirs.
Le contrat de sponsoring de Ronaldo assurerait un salaire vital à 28 000 ouvriers !
A l’inverse, les budgets consacrés au marketing et au sponsoring, eux, explosent. Ils représentent en moyenne 6 euros par paire de chaussures. Et si l’on prend la somme cumulée des contrats annuels de sponsoring des trois équipementiers auprès des 10 principaux clubs européens de football, celle-ci s’élève à plus de 406 millions d’euros en 2015, contre 262 millions d’euros en 2013. Soit une hausse de 144 millions d’euros en deux ans.
Rien que le contrat de sponsoring que Nike a conclu avec Cristiano Ronaldo, de 25 millions d’euros en 2014, permettrait de verser un salaire vital pendant un an à 28 000 ouvriers vietnamiens ou 19 500 ouvriers indonésiens. Ainsi, selon les estimations du collectif, le paiement d’un salaire vital pour leurs fournisseurs asiatiques correspond à 16% des dépenses de marketing et sponsoring de Nike, à 8% de celles de l’Allemand Adidas et à 4% de celles de Puma.
Par ailleurs, les marques voient le volume de leurs ventes augmenter de façon exponentielle. Avec le prix de vente. Le marché est estimé à 220 milliards d’euros par an. Chez Nike, les ventes ont doublé en moins de dix ans et le prix des chaussures a cru de 6% entre 2013 et 2015. Ce qui permet de générer d’importants bénéfices et de généreux dividendes.
"Les travailleur(se)s restent une variable d’ajustement… Pourtant, s’ils le voulaient, les équipementiers pourraient améliorer la situation. A l’échelle d’un produit, payer un salaire vital ne représenterait que quelques dizaines de centimes de plus sur le prix final d’une paire de chaussure ou d’un maillot de sport. Mais c’est en économisant ces faibles sommes sur des millions d’articles que les grandes marques dégagent les sommes nécessaires à la croissance permanente de leurs dépenses de marketing et à leur surenchère dans le milieu du football", estime l’ONG.
En Indonésie, le salaire moyen est deux fois moins élevé que le salaire vital
Autre signe que le temps est à la réduction des coûts de la main d’œuvre, les équipementiers quittent peu à peu la Chine, seul pays d’Asie où le salaire moyen rejoint le salaire décent. En ce qui concerne par exemple la fabrication de chaussures, les approvisionnements d’Adidas en provenance de Chine ont baissé de 38% depuis 2008, alors que ceux en provenance d’Indonésie ont augmenté de 20%. Même tendance chez Puma. En à peine trois ans, son approvisionnement en textile et chaussures en provenance de Chine a baissé de 23% alors que ses achats en provenance du Vietnam ont augmenté de 13%.
Des pays où les salaires sont encore loin de permettre aux travailleurs de couvrir leurs besoins essentiels. Les salaires moyens sont inférieurs au salaire vital de 33% au Vietnam, de 45% au Cambodge et de 50% en Indonésie et en Inde. "Cette recherche systématique du moindre coût questionne l’engagement des marques à construire des partenariats de long terme avec un nombre d’usines plus restreint et leur volonté réelle de donner à leurs fournisseurs les moyens d’améliorer les conditions sociales et de travail", déplore l’ONG.
Qui plus est, dans ces pays, les manquements aux droits sociaux sont particulièrement importants. Selon les données 2015 de l’Organisation internationale du travail (OIT), huit usines vietnamiennes sur dix ne respectent pas la législation sur les congés payés. Et la moitié tient une double comptabilité sur les salaires, destinée aux audits sociaux.
Par ailleurs, au Vietnam et en Indonésie, la grande majorité des usines ne respectent pas les règles de sécurité en cas d’incendie et ne prévoient pas d’équipement de protection.
Un modèle économique à repenser
Dès les années 90, Nike avait été la première multinationale du textile pointée du doigt par la société civile pour les conditions de travail de ses sous-traitants en Asie. Un reportage montrant des enfants pakistanais en train de coudre des ballons de football à l’effigie de la marque avait notamment choqué l’opinion publique.
En réaction, le groupe avait mis en place un système d’audit social. Il a aussi été le premier dans le secteur à publier l’intégralité de sa liste de fournisseurs. Suivi par Adidas et Puma, Nike et les autres équipementiers ont également développé des codes de conduite et des standards, faisant d’eux des pionniers en termes de responsabilité sociale des entreprises (RSE) dans le monde de la mode.
Mais aujourd’hui, portés par un marché du football devenu "le terrain d’une concurrence acharnée et d’une surenchère financière entre les principaux équipementiers sportifs », ils manquent à l’un de leurs engagements RSE : assurer à terme le paiement de salaires décents chez tous leurs fournisseurs.
"Le paiement d’un salaire vital dans le secteur du sport n’est pas un problème de manque de moyens, il s’agit d’un modèle économique global mis en œuvre par les équipementiers pour faire croitre le marché, leurs revenus et, in fine, leurs bénéfices. Il est dès lors légitime de leur demander ce qu’ils mettent en place concrètement pour sortir de ce cercle vicieux", explique l’ONG.
Elle appelle les consommateurs, citoyens et amateurs de sport à faire pression pour la mise en place d’un salaire décent dans les usines asiatiques. Et le collectif de citer l’exemple de Veja, marque française de chaussures de sport, qui a construit sa filière en partant des revenus permettant à chacun de vivre de son travail et qui rencontre un certain succès.