Publié le 18 juillet 2020
POLITIQUE
Les Pays-Bas, petit pays pas très frugal, bloque la relance du modèle européen
Alors que les dirigeants de l'Union européenne se réunissent ce week-end à Bruxelles pour un sommet consacré à la relance économique, les négociations s'enlisent face à la position du Premier Ministre néerlandais Mark Rutte. Petits États aux économies plutôt florissantes, les Pays Bas ou l’Autriche bloquent non seulement le plan de relance européen mais aussi le budget des cinq prochaines années. Leurs motivations : freiner l’utilisation de budget commun par des pays du Sud dont les piètres performances économiques fragilisent l’ensemble pour les Pays-Bas. Ils oublient au passage que leur richesse repose sur un modèle peu compatibles avec le "green deal".

Francisco Seco / POOL / AFP
"Le Royaume des Pays Bas est un État aux revenus supérieurs à la moyenne européenne disposant d’une économie ouverte reposant fortement sur le commerce extérieur", Wikipedia résume bien les caractéristiques du modèle économique néerlandais que défend avec acharnement son premier ministre Mark Rutte en s’opposant aux modalités d’un plan de relance européen et d’un budget dont près d’un tiers pourrait être consacrée au "green deal".
La prospérité néerlandaise doit en effet beaucoup à un modèle pas vraiment frugal sur le plan environnemental. L’agriculture et la pêche intensives y jouent un rôle clef. Les Pays Bas sont le deuxième exportateur de produits agricoles, devant la France. Rotterdam est le premier port européen par lequel transitent plus de 400 millions de tonnes de marchandises par an et près d’un tiers du PIB néerlandais dépend de l’exportation. Mark Rutte défend donc logiquement bec et ongles un modèle économique mondialisé reposant sur des règlementations pas trop contraignantes contre une solidarité européenne favorisant la mise en œuvre d’une transition vers des modèles plus durables.
Un modèle pas compatible avec le Green deal
Dans le domaine de l’agriculture et de la pêche, les Pays Bas sont parmi les champions du monde de la productivité, spécialistes du poulet en batterie. Seuls 1,6 % des agriculteurs européens sont néerlandais alors que les Pays Bas génèrent 8 % de la production agricole de l’Union (à titre indicatif, en 2007, l’élevage représentait plus de 4000 kilos de viande par an et par habitant). Ils sont aussi d’importants transformateurs de matières premières agricoles et de gros utilisateurs d’huile de palme massivement produit par l’Indonésie qui est, par ailleurs, leur ancienne colonie.
Le modèle est le même sur la pêche, les Pays Bas exploitant ces navires usines régulièrement dénoncés par les pêcheurs français parce qu’ils pêchent en une journée plus de 250 tonnes de poissons dans la Manche, soit le même volume que cinq de leurs chalutiers en un an !
Affrontement entre deux modèles
Si au sein de l’Union Européenne, les Pays Bas-défendent leur modèle, il est bousculé dans le pays par une pression croissante des ONG et de la société civile. Le fleuron pétrolier, Shell, est attaqué devant les tribunaux sur le changement climatique. Le procès lancé par une plainte collective réunissant 17 000 plaignants doit se tenir en décembre 2020. L’agriculture intensive est progressivement remise en cause par la répétition de scandales sanitaires qui ont émaillé la dernière décennie dont celui des œufs contaminés à l’insecticide Fipronil en 2017.
Enfin il n’est pas très surprenant que les Pays Bas soient plus que réticents à la mobilisation massive d’argent public pour sauver d’autres Etats membres en grande difficulté compte tenu de son faible appétit fiscal. Considéré "troisième pire" paradis fiscal par Oxfam juste derrière les Bermudes et les Iles Caïmans dans son étude de 2017, les Pays-Bas sont d’après Alternatives Economiques "les premiers receveurs de profits artificiels" : 20 % des 330 milliards d’évitement fiscal.
Les difficiles négociations qui se déroulent ce week-end à Bruxelles sont bien celles de l’affrontement entre deux modèles que la plupart des analyses présentent comme celui des pays du Nord industrieux qui ne voudraient pas payer pour les pays du Sud empêtrés dans des modèles "non compétitifs". Ces négociations sont en réalité la mère de toutes les batailles pour financer un projet européen qui ferait du Green Deal l’ossature de sa relance pour une économie durable et soutenable. Une idée qui ne fait pas sourire Mark Rutte !
Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT, Directrice générale de Novethic