Publié le 10 août 2020
POLITIQUE
[Édito] Le monde d'après est déjà là mais les États continuent à croire que celui d'avant va revenir
Le 6 août dernier, le philosophe Bernard Stiegler est décédé à 68 ans. Dans son dernier ouvrage, il dénonçait l’incapacité des gouvernants et des États à comprendre la colère de la jeunesse face à ce qu'elle considère comme de l’inaction climatique. Pour lui, cela demanderait à changer de logiciel pour comprendre le monde. La crise du Covid-19, qui bouleverse nos sociétés, est la bonne occasion.

@PatxiBeltzaiz/HansLucas/AFP
"La leçon de Greta Thunberg", tel est le titre du dernier livre du philosophe Bernard Stiegler mort le 6 août. Il y analysait l’incapacité des entreprises et des États à répondre à la colère de cette génération emmenée par la jeune suédoise contre l’inaction climatique. Pour lui, "même s’ils le voulaient, les États n’auraient pas les concepts pour changer. Il faudrait, pour pouvoir le faire, établir une nouvelle critique de la science dans le monde industriel".
Prendre des décisions éclairées par les spécialistes d’un seul domaine, sans croiser leur analyse avec celles d’autres disciplines pour construire une vision globale, est exactement ce qui se produit avec la crise sanitaire. Les décisions politiques ciblent de plus en plus chirurgicalement la prévention du COVID-19 et, pour le reste, appliquent des vieilles recettes à l’obsolescence programmée.
Écologie punitive inacceptable
La croissance reste officiellement une terre promise à reconquérir un jour prochain mais avec un PIB à -13,8 % au second trimestre 2020, nous sommes plutôt au temps de la décroissance. L'écologie punitive, avec ses interdictions de pesticides ou de transports polluants, serait inacceptable. Pourtant canicule et pollution assignent à résidence des populations menacées de 135 euros d'amendes si elles ne portent pas masque dans l'espace public. La société punitive pour raison sanitaire est donc en place avec un taux d'acceptation remarquable.
Les appels à changer de mode de consommation pour plus de sobriété constitueraient une menace dangereuse pour l'économie. Mais avec le confinement, la crise sociale et les restrictions de liberté de circulation, les modes de consommation ont d'ores et déjà changé et massivement. Le Covid-19 transforme en profondeur nos sociétés. Mais, en l’absence de cette vision globale de la transformation en cours, appelée de ses vœux par Bernard Stiegler qui la construisait avec des collectifs transgénérationnels, le discours politique patine.
Il ne profite pas du coup de l’opportunité ainsi offerte de repenser le monde pour faire face à ces évolutions radicales auxquelles les citoyens semblent s'adapter beaucoup plus rapidement que leurs dirigeants.
Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT, Directrice générale de Novethic