Publié le 11 juin 2020
POLITIQUE
Après un moratoire de 28 ans, les États-Unis envisagent la reprise d’essais d’armes nucléaires
Les nombreuses menaces qui pèsent sur l’environnement planétaire, en matière de climat et de biodiversité, ont relégué au second plan des dangers plus anciens comme le risque nucléaire. Si depuis la fin de la guerre froide, la probabilité d’un conflit atomique est plus faible, elle n’est pas nulle. Alors que les arsenaux comptent toujours 14 000 têtes déployées, les États-Unis envisagent de reprendre des essais nucléaires, alors que le dernier remonte à 1992.

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Mi-mai, l’administration américaine a réuni à la Maison Blanche des experts militaires et scientifiques. Selon des informations du Washington Post, la réunion aurait porté sur l’opportunité de reprendre des essais d’armes nucléaires. Cette réflexion intervient alors que les États-Unis ont accusé les Russes et les Chinois d’avoir conduit des essais d’armes de faible puissance fin 2019. Accusations rejetées par Moscou et Pékin.
Selon une source gouvernementale citée par le quotidien sous couvert de l’anonymat, la réalisation rapide d’un tel essai permettrait de mettre la pression sur les deux autres grandes puissances atomiques dans le cadre d’un accord trilatéral sur la régulation des arsenaux. Aucune décision n’a encore été actée mais, selon les sources proches, les discussions "avancent à bon train". Pour la National Nuclear Security Administration (NNSA) en charge de vérifier l’état des armes, aucune raison de sécurité ne justifie de mener de nouveaux essais.
La dernière explosion américaine date de 1992, marquant la fin d’une série d’environ 1050 tests menés par le pays depuis 1945. Au total, près de 2000 tests réels ont lieu dans le monde, dont 715 par la Russie et 210 par la France. Les cinq grandes nations officiellement nucléarisées ont signé en 1996 le Comprehensive Test Ban Treaty (CTBT), visant à mettre fin à ces expérimentations, à la faveur de modèles numériques. Le Sénat américain n’a pas ratifié le traité, mais un moratoire a été, de fait, mis en place depuis.
Course à l’armement
La reprise des essais américains "serait une invitation pour les autres pays nucléaires à faire de même, explique Daryl Kimball, directeur de l’Arms Control Association dans le Washington Post. Robert Rosner, professeur de physique et Président du Bulletin of Atomic Science (qui alerte sur le risque nucléaire depuis 75 ans) confirme. Pour lui, une telle décision ouvre la voie à une nouvelle course à l’armement. "Si nous testons, il est très clair que d’autres feront de même. La question cruciale est qui seront les autres ?", interroge-t-il.
Car si les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la France et la Chine sont officiellement armés, d’autres pays ont également développé des programmes. Selon l’Ican (International Campaign to Abolish Nuclear Weapons), on compte au moins l’Inde, le Pakistan, Israël, la Corée du Nord… Pour le bulletin, qui gère la célèbre Horloge de l’Apocalypse, les deux plus grandes menaces pour l’Humanité sont la guerre nucléaire et le changement climatique.
Des traités internationaux remis en question
"Les conflits politiques concernant les programmes nucléaires en Iran et en Corée du Nord ne sont toujours pas résolus et ne font qu’empirer. La coopération américano-russe sur le contrôle des armements et le désarmement est pratiquement inexistante", explique le bulletin. "Une guerre nucléaire mettant fin à la civilisation - qu'elle soit déclenchée à dessein, par erreur ou à cause d’une simple mauvaise communication - est une possibilité réelle", décrivent-ils.
Ce risque est d’autant plus prégnant que plusieurs traités multilatéraux sont mis à mal, entre autres par l’administration Trump. Déjà, Washington s’est retiré en 2018 des accords sur le nucléaire iranien. En 2019, c’est le traité américano-russe sur le désarmement des armes nucléaires de portée intermédiaire, signé en 1987, qui était annulé. Washington a accusé Moscou ne pas avoir respecté ses engagements. Enfin, les États-Unis viennent d’annoncer leur retrait du traité "Open Skies" (Ciels ouverts) de 2002, qui autorise les pays signataires à réaliser des vols d’observation pour surveiller les mouvements militaires.
Ludovic Dupin @LudovicDupin