Publié le 05 mai 2020
NUMÉRIQUE
Souveraineté numérique : le gouvernement se passe d'Apple et Google pour son application Stop Covid
La France est dépendante de la Chine pour, entre autres, la production de masques. Elle l'est aussi des États-Unis concernant le numérique. Pour assurer la protection de ses données, le gouvernement vient d'annoncer que l'application Stop Covid, dont le but est de tracer les malades, serait disponible à partir du 2 juin et ce, sans avoir eu recours à Apple et Google. Une manière pour la France d'assurer sa souveraineté numérique, mais à quel prix ?

Ludovic Marin / AFP
[Mise à jour le 5 mai] Avec la crise du Covid-19 et l’explosion des outils digitaux, la question de la souveraineté numérique n’a jamais été si importante. Si le gouvernement a dit, à plusieurs reprises, vouloir retrouver une souveraineté concernant l'alimentation ou les produits médicaux, sa position est plus compliquée sur les données numériques. Le flou autour de StopCovid, application permettant de tracer les personnes atteintes du virus, en est un exemple criant.
Les deux puissantes entreprises, Apple et Google, ont proposé une solution toute prête à plusieurs États désireux de déployer une telle solution. La France est l'un des rares pays à avoir refusé. "C’est la mission de l’État que de protéger les Français : c’est donc à lui seul de définir la politique sanitaire, de décider de l’algorithme qui définit un cas contact ou encore de l’architecture technologique qui protégera le mieux les données et les libertés publiques", a fait valoir dans le JDD Cédric O, le secrétaire d’État au Numérique.
Une dépendance totale aux plateformes américaines
Décision louable, encore faut-il que la France réussisse à développer une application sans les géants du numérique. "C’est un sacré défi qui reviendrait à fabriquer un A380 en trois semaines sans jamais l’avoir fait auparavant", juge Frans Imbert-Vier, le PDG d’Ubcom, spécialisé dans la cybersécurité. Le gouvernement assure pourtant avoir réussi. Il a annoncé le 5 mai que l'application Stop Covid serait lancée le 2 juin, sans avoir eu recours à Apple et Google. Si tel est le cas, l'application tricolore ne pourrait pas être utilisée sur les smartphones iPhones. Sans compter que quoi qu'il arrive, l’application "utilisera tout de même des d’outils (API) fournis par Google et Apple dans d’autres phases de son développement, essentiels à la conception d’une application, montrant que le débat porté sur le front de la souveraineté numérique n’est pas tout à fait compris au gouvernement", explique le journal spécialisé Numerama.
Est-ce à dire que le bras de fer entamé par le gouvernement est déjà perdu ? La France paye le fait d’avoir délaissé cette question pendant des années alors même que Google, Facebook, Microsoft… montaient en puissance. "Nous sommes dans une situation de dépendance totale aux plateformes globales qu’on regroupe sous les acronymes GAFAM et NATU*", écrit, dans une tribune publiée dans le Journal du Net, un collectif d’entrepreneurs et de décideurs engagés dans le numérique français.
"Ce n'est pas nouveau mais cela prend une sensibilité accrue quand il apparaît que la société (californienne, ndr) Palantir connue pour ses liens avec les services de renseignements américains est envisagée à la fois par l'AP-HP pour contrôler les cas de Covid-19, et par l'État (...). Notre dépendance devient non seulement économique, mais aussi sociétale et obère nos libertés fondamentales", soulignent-ils.
Faire des données numériques un bien commun
Les signataires demandent ainsi que la France change de cap sur les approvisionnements numériques de grande ampleur et se prépare, dès aujourd’hui, à une autonomie. Pour cela, ils appellent à s’appuyer sur les acteurs français et européens, ce qui permettrait d’injecter 150 milliards de dollars de chiffre d’affaires "dans nos entreprises du numérique françaises sur cinq ans tout en permettant à la France de rattraper son retard sur des pays comme la Grande-Bretagne où le numérique représente 10 % du PIB, contre 6 % pour la France".
Et ils ne sont pas les seuls à souhaiter que la France retrouve sa souveraineté numérique. 108 parlementaires de droite et du centre ont appelé, dans une tribune publiée dans le Monde, à une révision de la constitution. Ils souhaitent que les données numériques deviennent un bien commun. "La création du patrimoine commun des données, qui les place sous notre droit, est la seule manière de garantir simultanément notre liberté, notre sécurité et notre santé", croient-ils.
Marina Fabre, @fabre_marina
*GAFAM : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft - NATU : Netflix, AirBnB, Tesla, Uber