Publié le 10 février 2015
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Swiss Leaks : HSBC a sciemment mis en place un immense système de fraude fiscale
Alors que le journal Le Monde diffuse jour après jour de nouvelles révélations sur la vaste opération de fraude fiscale orchestrée par HSBC, la question de la lutte contre la fraude fiscale internationale revient sur le devant de la scène. Baptisée Swiss Leaks, ce scandale financier démontre de manière incontestable la responsabilité de la banque. Il rappelle aussi combien la transparence fiscale est une règle complexe à mettre en œuvre.

Harrold Cunningham / Getty images / AFP
Ils sont sportifs, artistes, hommes d’affaires, trafiquants d’armes, diamantaires, financiers d’Al-Qaïda…
Ils sont surtout très riches et font l’actualité économique à leurs dépens depuis que Le Monde a révélé le nom de quelques-unes des grandes personnalités clientes d’HSBC ayant bénéficié d’un vaste système de fraude fiscale.
180 milliards d’euros dissimulés entre 2006 et 2007
Petit rappel des faits. A partir de listings volés par Hervé Falciani, ancien informaticien d’HSBC, un consortium d’enquêteurs composé de 147 journalistes d’une cinquantaine de médias internationaux (ICIJ) s’est mis en place pour enquêter pendant plusieurs mois sur HSBC et son système de fraude fiscale.
Le 8 février dernier, le quotidien français Le Monde a révélé les résultats de ce travail d’investigation. Les chiffres sont colossaux: 180,6 milliards d’euros ont été dissimulés dans des paradis fiscaux, avec la complicité active d’HSBC, de 2006 à 2007.
Plus de 200 pays sont concernés. Près de 130 000 personnes physiques et morales ont bénéficié de ces montages pour échapper à l’impôt. Et 20 000 sociétés offshores sont dénombrées. Quant à la France, elle est le 5e pays en termes de sommes ayant transité par la filiale suisse d’HSBC, avec des avoirs atteignant pour certains 557 millions d’euros.
Cette affaire succède à un autre scandale d’optimisation fiscale mis au jour en novembre 2014: les Luxleaks.
Un démarchage actif de HSBC
Cette enquête met aussi en lumière le rôle de la banque HSBC dans cette fraude fiscale massive. Selon Le Monde, les employés de la banque auraient eux-mêmes démarché les riches clients de l’établissement pour les inviter à placer leur argent à la HSBC Private Bank de Genève.
La filiale suisse assure à ses clients un total anonymat, grâce à une identification par numéro, dans un pays où le secret bancaire est de mise (les banques suisses n’ont pas le droit de livrer des informations sur leurs clients à des tiers non autorisés).
L’autre conseil de la banque? Proposer à ses clients de créer une société écran offshore aux Îles Vierges britanniques ou au Panama, qui sera finalement la détentrice du ou des comptes bancaires suisses.
Hervé Falciani, l’ex-informaticien, n’est pas parti qu'avec les listings clients. Il a aussi conservé les rapports de visites des commerciaux de l’établissement bancaire. Des documents qui, toujours selon les journalistes qui ont enquêté, prouvent le rôle actif de la banque dans le développement du système de fraude.
HSBC dans la tournante judiciaire
Pour HSBC, les prochains mois s’annoncent intenses sur le plan judiciaire: en Grande-Bretagne, le Parlement va ouvrir une enquête. Aux Etats-Unis, la banque est sous le coup d'une enquête du département de la Justice pour avoir aidé ses clients américains à tromper le fisc américain.
En Belgique, la justice a inculpé en novembre 2014 la filiale suisse de HSBC pour fraude fiscale et blanchiment d'argent. Le juge belge envisage même de lancer un mandat d'arrêt contre la direction d’HSBC Private Bank en Suisse, pour refus de coopérer.
En France, en novembre 2014, HSBC Private Bank a été mise en examen pour démarchage bancaire et financier illicite et blanchiment de fraude fiscale entre 2006 et 2007.
L’étau se resserre donc sur HSBC, qui va devoir payer.
Il s’agit désormais pour la deuxième banque mondiale de limiter la casse en négociant pour éviter les procès. Dans son article du 3 novembre 2014, Le Monde affirme que le directeur des affaires juridiques d’HSBC a déclaré: "Si, en France, nous aboutissions à la conclusion qu’un bouclement de la procédure par une reconnaissance préalable de la culpabilité est dans l’intérêt de la banque, ce serait le chemin que nous prendrions."
Nul doute que l’actualité récente conforte la banque dans sa stratégie de s’acquitter d’une très forte amende pour échapper au procès.
L’inefficacité de la France dans la lutte contre la fraude fiscale
Roland Veillepeau, l’ancien patron de la Direction nationale des enquêtes fiscales, a dirigé l’exploitation de toutes les données fournies par Hervé Falciani. Dans un entretien au Monde, il porte un regard très critique sur la politique française de lutte contre la fraude fiscale: "Je peux vous assurer que notre politique de lutte contre la fraude fiscale internationale est aujourd’hui inopérante."
De con côté, le Premier ministre, Manuel Valls, a réagi aux révélations du Monde en affirmant sur Europe 1: "Le gouvernement est très déterminé à lutter contre la fraude fiscale, contre ces paradis fiscaux, et continuera d'agir en ce sens pour ce qui nous concerne mais aussi au niveau européen."
En déplacement à Washington, Christiane Taubira a salué "une enquête de journalistes manifestement de très bonne qualité [...] dont les juges feront certainement leur miel s'ils ont besoin d'éléments supplémentaires par rapport à ce qu'ils ont".
Pour la ministre de la Justice, la fraude fiscale "doit être sanctionnée par la loi et faire ausi l'objet d'une stigmatisation sociale".