Publié le 19 décembre 2018
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Shell, BHP Billiton... ces entreprises quittent leurs fédérations, trop conservatrices sur le climat
Trop c’est trop ! Après BHP Billiton l’an dernier, c’est au tour de Shell de claquer la porte de certaines organisations patronales ou professionnelles. En cause, les positions de ces dernières sur le climat, jugées pas assez ambitieuses. Ces coups d’éclat sont notamment destinés à envoyer un message à leurs parties prenantes, notamment aux actionnaires, de plus en plus soucieux de cette cohérence.

@levkr
Ce n’est pas encore un mouvement massif, mais il pourrait devenir une tendance forte en 2019. Ces derniers mois, plusieurs poids lourds de l’industrie minière ou pétrolière ont quitté des organisations professionnelles jugées incompatibles avec leurs propres ambitions climatiques. Fin décembre 2017, le géant minier australien BHP Biliton annonçait ainsi son départ de l’association mondiale du charbon du fait de ses positions jugées contraires à l’Accord de Paris.
Un an plus tard, c’est au tour de Shell de revoir son appartenance à certains groupes de lobbying pour les mêmes raisons. Pour donner des gages de transparence, l’entreprise annonce même un rapport détaillant l’ensemble de ses adhésions et leurs positions climatiques au premier semestre 2019.
Ces coups d’éclats peuvent paraître surprenants pour des entreprises qui ne sont pas particulièrement connues pour être aux avant-postes de la lutte contre le changement climatique. Ils s’expliquent en fait en grande partie par l’importance prise par la question du lobbying dans les grilles d’analyse des investisseurs.
Une pression croissante des investisseurs
Pendant longtemps, le manque de cohérence entre le discours des entreprises et leur appartenance à des organisations défendant des positions différentes était pointé par les seules ONG. Mais depuis l’Accord de Paris et les réglementations de transparence portées par les États comme la France avec l’article 173 ou les recommandations de la TCFD, le groupe de travail sur les risques financiers liés au climat, les investisseurs regardent de près ces questions.
C’est sous leur pression que BHP Billiton puis Shell ont franchi le pas. En octobre dernier, la compagnie pétrolière avait été interpellée par un groupe d’investisseurs pesant 2 000 milliards de dollars (1). En plus de Shell, celui-ci visait une cinquantaine d’autres entreprises fortement émettrices de gaz à effet de serre comme BP, Total, Arcelor Mittal, BMW ou Bayer, pour les confronter à leurs pratiques de lobbying.
"Nous vous demandons que vos pratiques soient alignées sur le document 'attentes des investisseurs' que nous vous avons envoyé, et que vous soyez transparents sur vos propres positions et sur la manière dont vous vous assurez qu’elles sont mises en œuvre dans vos activités directes et indirectes de lobbying", écrivent ainsi ces investisseurs. Ce manque de cohérence représente en effet plusieurs risques – économiques, juridiques ou réputationnels – qui peuvent peser financièrement sur les entreprises et leurs investisseurs.
Un mouvement à consolider
Pour autant, si la prise de conscience est réelle, le chemin est encore long. BHP Billiton a bien quitté l’association mondiale du charbon et réussi à rallier le Mineral Council of Australia à ses positions (2) mais elle est restée membre de la Chambre américaine de commerce qui devait pourtant subir le même sort. Difficile en effet de claquer la porte de cette très puissante organisation qui offre des "avantages plus larges", aux dires mêmes de BHP. D’autres l’ont pourtant déjà fait comme Apple ou PG&E. Mais dans une déclaration publique, BHP Billiton justifie le fait de rester membre "compte tenu de la volonté de la Chambre de s’engager davantage sur les questions climatiques et énergétique", notamment en l’invitant "à se joindre à sa commission énergie et environnement"...
Les investisseurs ne sont pas non plus exempts de contradictions. Dans une récente étude, l’ONG Influence Map, spécialisée sur les questions de lobbying, montrait l’ambiguïté même des investisseurs qui s’engagent certes de plus en plus publiquement sur ces questions, tout en augmentant – au niveau global - leurs investissements dans les énergies fossiles les plus polluantes comme le charbon.
Béatrice Héraud @beatriceheraud
(1) Le groupe d’investisseurs est mené par les fonds de pension de l’Eglise d’Angleterre et le fonds de pension suédois AP7. Leur déclaration est consultable ici. Les entreprises ciblées ont été identifiées grâce à Influence Map.
(2) le Mineral Council of Australia a publié en mars 2018 une révision de ses positions en matière d'énergie, mettant notamment fin au soutien ciblé du charbon.