Publié le 30 mai 2017
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
La place des lobbys énergétiques remise en cause dans les négociations climatiques
Pour la première fois en presque vingt-cinq ans de négociations climatiques, les États membres de la CCNUCC (Convention cadre des Nations-Unies pour le changement climatique) ont mis sur la table la question des conflits d’intérêts. Le groupe des Bingos, qui rassemble organisations professionnelles et industrielles en qualité d'observateurs, est dans le viseur des pays du Sud et des ONG. Si la discussion a le mérite d'être entamée, elle semble très loin d'aboutir.

UNclimatechange
En 2016 lors des différents sommets sur le climat, les délégués des pays du Sud - représentant près de 70 % de la population mondiale - ont exigé que la CCNUCC (Convention cadre des Nations Unies pour le changement climatique) revoie ses procédures et ses pratiques pour identifier les conflits d’intérêts pouvant freiner, voire même bloquer, les négociations climatiques.
Ils ont enfin été entendus lors de la réunion intermédiaire à Bonn, qui s’est tenue du 8 au 18 mai 2017. C’est la première fois, en vingt-cinq ans, que les États membres ont discuté de la place à accorder aux représentants des énergies fossiles. Ces derniers sont réunis au sein du groupe Bingo (Business and Industry Non-Governmental Organization), l’une des neuf composantes non-étatiques habilitées à suivre les conférences climat. Elle regroupe 270 organisations professionnelles et industrielles.
L'Australie et la Norvège au secours de l'industrie
Pas sûr cependant que le fruit de ce premier échange ait satisfait les anti-industries. En particulier, l’Australie et la Norvège ont tenu à défendre la place des Bingos au sein du processus de négociation. "Exclure les parties prenantes en se basant sur leurs intérêts peut être contreproductif. Nous croyons que les entreprises et l’industrie ont un rôle très important à jouer", a jugé le représentant de la Norvège. "Quelques-unes des entreprises étant accusées de polluer les négociations sont celles qui apporteront les solutions les plus importantes. Elles ont un rôle fondamental à jouer", ajoute son homologue australien.
"Si l’objectif des négociations climatiques de l'ONU est réellement d’augmenter le niveau d’ambition, la poursuite de la discussion autour de la lutte contre les conflits d'intérêts est essentielle, rétorque Pascoe Sabido, du Corporate Europe Observatory. La grande question est maintenant de savoir si des pays comme l'Australie, le Canada ou encore l'Union européenne peuvent ignorer les appels de leurs industries fossiles et soutenir une politique qui place les gens et la planète avant les bénéfices des pollueurs".
La question est effectivement de savoir s’il y a en effet conflit d’intérêt. Les membres du Bingo ne peuvent pas participer aux votes ou aux décisions mais ils peuvent assister à toutes les discussions, organiser des événements et surtout rencontrer les délégués. "Des centaines d’associations professionnelles ont accès aux négociations sur le climat et un grand nombre d’entre elles sont financées par certains des plus grands pollueurs et climatosceptiques du monde", affirme Tamar Lawrence-Samuel de l’ONG américaine Corporate-Accountability International (CAI).
Une influence sur la politique climatique européenne
Son ONG a justement lancé une campagne baptisée "Kick big polluters out of climate policy" ("Dégagez les gros pollueurs des politiques sur le climat" en français) et a publié un rapport début mai pour dénoncer les pratiques autorisées par la CCNUCC. Les auteurs s’insurgent contre la présence d’organisations telles que la World Coal Association (Association mondiale du charbon), la National Mining Association (Association minière américaine) ou FuelsEurope, qui regroupe la majeure partie de l’industrie pétrolière et du raffinage européenne, aux côtés de délégués chargés de durcir les politiques climatiques et donc de réduire la part des énergies fossiles.
D’autres organisations comme la Chambre de commerce américain, la plus grande organisation professionnelle au monde, financée par certaines des entreprises les plus polluantes – ExxonMobil, Chevron, Peabody – ont critiqué les objectifs pris par l’Accord de Paris et les mesures proposées pour les atteindre, peut-on lire dans le rapport. BusinessEurope est également pointé du doigt. Elle est accusée d’avoir tout fait pour baisser les ambitions du Paquet Energie Climat 2030 de l’Union européenne.
L’ONG CAI appelle aujourd’hui la CCNUCC à arrêter une définition universelle du conflit d’intérêts et à mettre en place un processus strict de transparence concernant l’admission des observateurs en son sein. Une demande qui est loin d’aboutir. L’an dernier, des délégués de l’Union européenne, du Brésil, de l’Australie et des États-Unis s’étaient déjà opposés au principe d’une discussion sur les Bingos.
Concepcion Alvarez @conce1