Publié le 27 septembre 2018
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Lobbying climatique : le double jeu du patronat européen
Un mémo de Business Europe, l’organisation patronale européenne dirigée par Pierre Gattaz, l’ancien patron du Medef, révèle les dessous du lobbying climatique exercé à Bruxelles. Si l’organisation affiche un soutien de façade aux ambitions portées par l’UE, elle demande clairement à ses membres de ne pas s’engager au-delà de déclarations de principe.

@istock
C’est un document que Busines Europe destinait seulement à l’interne. Publié par Euractiv, il décrit sans ambages le double discours du patronat européen sur la lutte contre le changement climatique. Le document (1) demande à ses membres de rester "positifs" tant que les engagements restent de l’ordre des "déclarations politiques", sans implications législatives, de répartition de l’effort ou de réforme du marché européen du carbone par exemple.
L’Union européenne entend hausser ses ambitions à l’occasion de la COP 24 qui se tiendra en décembre en Pologne. Business Europe se positionne clairement contre, mettant en avant les "arguments habituels" de la distorsion de compétitivité avec les pays moins-disants ou le fait que l’Europe ne peut pas "compenser" pour les autres.
Une opposition en douceur
Parmi les moyens proposés pour une opposition en douceur : le fait de retarder le processus en demandant plus de transparence sur les méthodologies, le besoin de nouvelles études d’impact ou la mise en avant d’un risque d’instabilité pénalisant les investissements.
Le problème de ce parti pris est que Business Europe a du poids. L’organisation regroupe une quarantaine de fédérations ou d’organisations patronales européennes ainsi que des grandes entreprises comme Bayer, BMW, BP, ExxonMobil, Google, Microsoft, Pfizer, Shell, Total ou Volkswagen. Elle est considérée comme l’un des plus puissants lobbys auprès de Bruxelles avec 30 lobbyistes et 4 millions d’euros de budget annuel.
Selon l’ONG Corporate Europe, Business Europe s’est déjà illustrée en matière de politique climatique pour avoir revu "à la baisse les objectifs en matière d'énergies renouvelables et d'efficacité énergétique européens au bénéfice des échanges de quotas d'émission". Dans le rapport "Corporate lobbying" (2), publié quelques jours avant la fuite du document, Business Europe était pointée comme l’une des organisations les plus mal notées (E sur une échelle de A+ à F) au niveau international, à égalité avec le Medef, d'où vient son directeur actuel, Pierre Gattaz.
Un lobbying plus subtil mais tout aussi efficace
Selon l'ONG, InfluenceMap, le memo de Business Europe est typique des nouvelles pratiques. "Au cours des deux dernières décennies, l’opposition des entreprises à l’agenda climatique a laissé de côté le déni de la science pour des arguments plus subtils et l’utilisation de groupes de pression pour construire un lobbying plus agressif". Mais le résultat reste le même : "le blocage de réglementations essentielles pour le climat".
Globalement, les travaux d'InfluenceMap montrent que 90 % des 200 grandes entreprises mondiales sont toujours impliquées dans des organisations patronales menant un lobbying anti-climatique. Sans compter, 30 % d'entre elles qui mènent un lobbying direct. Notons toutefois qu'en 2015, l'ONG calculait ce taux à 45 %.
Béatrice Héraud @beatriceheraud
(1) Le document est à lire ici
(2) Le rapport "Corporate lobbying" est consultable ici