Publié le 20 avril 2023
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
RSE, climat : comment réinventer le dialogue avec les parties prenantes pour une vraie transformation écologique ?
À l’heure où les salariés, une partie des actionnaires et les ONG environnementales exercent une pression croissante sur les entreprises pour qu’elles adaptent leur stratégie et leur production à des objectifs plus durables, il est indispensable pour les entreprises engagées de dépasser le stade du rapport RSE pour parler à leurs parties prenantes. Veolia et Axa ont lancé deux innovations à suivre qui rompent avec les codes habituels. Retour d’expérience.

@ACHT
Cadre insolite pour parler d’un processus innovant de dialogue avec les parties prenantes : la Recyclerie de la Porte de Clignancourt à Paris. C’est le lieu choisi par Veolia, grande entreprise cotée, pour faire, début avril, un premier bilan de deux ans de travail autour d’un projet d’intelligence collective. "Nous avons eu trois mots d’ordre : pédagogie, innovation et engagement. Notre programme s’appelle "+1 Ecologie en actions" pour témoigner des dimensions concrètes de nos programmes qui servent à ajouter le plus grand nombre de parties prenantes autour de projets concrets", explique Fanny Demulier, coordinatrice du comité de pilotage de la Raison d’être du groupe et Responsable communication Raison d’être et RSE.
Les objectifs de cette démarche inhabituelle sont à la fois de "faire dialoguer des parties prenantes aux intérêts parfois divergents pour bâtir du consensus mais aussi d’imaginer collectivement des solutions utiles au plus grand nombre", ajoute celle qui a porté le projet. Veolia, qui prépare son prochain plan stratégique 2024-2027 sur le même principe, expérimente et teste la méthode pour associer ses 240 000 salariés au processus. Dans un premier temps ils ont formulé leurs attentes via un questionnaire réalisé dans toutes les langues du groupe.
Casser les codes habituels de l’organisation managériale
Ensuite, 150 représentants de cette partie prenante, indispensable pour faire la transformation écologique, ont été sélectionnés dans 44 pays et ils ont travaillé pendant 18 mois à synthétiser des propositions qui servent à construire la stratégie des trois prochaines années. Ils ont dû réfléchir aux paradoxes qu’implique la transformation. Par exemple : Veolia développe des activités de traitement des déchets dangereux utiles pour la dépollution, mais comment augmenter cette activité en réduisant ses impacts négatifs environnementaux et climatiques ? La démarche n’est pas seulement environnementale mais aussi sociale.
Olivier Carlat, directeur du développement social en charge du dialogue social, explique : "Nous avons monté des groupes de travail pour que les salariés et leurs représentants syndicaux identifient eux même les priorités. Il en est ressorti trois enjeux clefs : compétences et accompagnement pour les faire évoluer afin de les mettre au service de la transition écologique, prendre soin des collaborateurs dans ces phases de transformation, partager la valeur créée par l’entreprise sur le plan financier mais aussi en rendant la stratégie intelligible pour tous afin qu’elle soit appropriée par l’ensemble des salariés."
Cette volonté de décloisonner et de casser les codes habituels de l’organisation managériale d’un grand groupe coté international est enthousiasmante, témoignent ceux qui ont participé à l’aventure. En ces temps de clivage et d’affrontements, cela montre qu’on peut donner envie de construire collectivement une transformation écologique de terrain, à condition d’y mettre les moyens. Veolia a poussé la logique jusqu’à mettre sa méthode de coopération en open source. L’entreprise propose un tutoriel sur YouTube et a réalisé des cahiers de transformation écologique sur les thèmes de la résilience, de l’innovation, de l’emploi et de l’insertion pour restituer les principales conclusions des collectifs.
Axa Climate School pour inoculer l’ambition climatique dans les entreprises
Axa, l’assureur qui depuis 2015 est à la pointe de la mobilisation de son secteur sur le changement climatique a lancé Axa Climate en 2019. Son objectif est "d'aider la planète Terre à devenir une véritable partie prenante de toutes les entreprises, au même titre que le sont les employés, les clients et les actionnaires estimant que, seuls les acteurs privés et publics engagés dans des transitions durables seront assurables à partir de la décennie en cours". Forts de ce raisonnent, la structure a créé une "Climate School" qui doit "permettre aux départements RH et RSE de former tous leurs employés à réussir la transformation durable de leurs métiers".
Pour faire connaitre leur école qui propose des vidéos pédagogiques et documentées, les promoteurs du projet ont organisé une soirée au Grand Rex le 18 avril sur un thème provocateur "Peut-on rire de l’écologie ?". Ils avaient invité trois spécialistes de cet humour à vocation pédagogique sur l’urgence climatique : Vinz Kante, belge spécialiste du stand up qui met le rapport du Giec à la portée de tous, Nicolas Meyrieux, qui alerte sur les menaces planétaires comme la pollution des océans par les mégots de cigarettes avec ses vidéos en situation, ainsi que Laure Noualhat alias Bridget Kyoto qui se sert de l’humour noir pour secouer les humains qui savent tous qu’il faudrait faire autrement sans jamais s’y mettre.
Les échanges dans cette soirée qui se voulait festive et souriante ont fait surgir de grands débats existentiels : faut-il tout quitter pour vivre à la campagne et tenter de gérer son envahissante éco-anxiété ou alors rester pour agir de l’intérieur en poussant les organisations, les entreprises et les villes à se transformer pour intégrer l’urgence climatique et environnementale ? Si la réponse varie selon les individus, il est certain que la transformation écologique suppose que tous les acteurs s’y mettent à commencer par ceux qui disposent d’une importante puissance économique.
Les démarches de ces deux grandes entreprises engagées montrent qu’elles sont capables de casser leurs codes pour pousser plus loin les feux de la transformation écologique et combattre une par une les injonctions paradoxales qui rongent la crédibilité des démarches durables de bon nombre d’entreprises.
Anne-Catherine Husson-Taore, directrice des publications de Novethic