Publié le 20 novembre 2018
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Quel avenir pour la gouvernance de l'alliance Nissan-Renault ?
Le conseil d'administration de Renault a désigné mardi soir le numéro deux de l'entreprise Thierry Bolloré pour assurer l'intérim de Carlos Ghosn, qui reste PDG malgré son arrestation au Japon sur des soupçons de malversation. Un coup de tonnerre qui interroge sur l'avenir de l'alliance entre Renault, Nissan et Mitsubishi motors. L'équilibre de ce triangle, qui semblait reposer sur un seul homme tombé brutalement de son piédestal, apparaît comme de plus en plus précaire.

STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
A l'issue du conseil d'administration réuni mardi soir, Thierry Bolloré, qui avait été désigné numéro deux de Renault en février dernier, a pris l'intérim de Carlos Ghosn. Ce dernier reste toutefois PDG, malgré son arrestation au Japon pour des soupçons de malversation et la prolongation de sa garde à vue de 10 jours. Après ce coup de tonnerre, visant l'un des PDG considéré comme l'un des plus puissants capitaines d'industrie au monde, les craintes concernant l'avenir de l'alliance Renault Nissan restent vives.
Un mot d'ordre: la stabilité de l'alliance
Toute la journée de mardi, les autorités françaises et japonaises ont tenu à rassurer sur "la stabilité de l'alliance". Celle-ci, bâtie sur un montage complexe (1), est aujourd'hui menacée par la mise en cause de sa pièce pivot qui présidait chacune des trois entités. Une concentration de pouvoir qui lui avait été reprochée à de nombreuses reprises et qui fragilise aujourd’hui l’équilibre mis en place.
L'affaire survient au moment où le PDG de l'alliance atteignait la première place mondiale du secteur, avec plus de 10 millions de voitures vendues, et travaillait à rendre les liens "irréversibles" entre Renault et Nissan, a souligné dans une note Kentaro Harada, analyste chez SMBC Nikko Securities. "Nous ne pouvons pas exclure la possibilité que l'alliance se retrouve affaiblie". "Cela va-t-il changer l'équilibre du pouvoir (entre les parties française et japonaise), c'est la principale question".
"C'est la fin du règne d'un monarque absolu", selon Loïc Dessaint, directeur général de Proxinvest, agence de conseil aux investisseurs, invité sur Europe 1 lundi. Pour ce spécialiste du secteur, l'alliance franco-japonaise va désormais devoir "retrouver une gouvernance plus normale". "C'est un problème que tant d'autorité ait été accordée à une seule personne", avait déjà lâché, lundi, le président exécutif de Nissan, Hiroto Saikawa.
Gouvernance intérimaire pour Renault
Si "cette affaire n'est pas de nature à affecter l'alliance entre les trois entités" selon le dirigeant nippon, la vacance de la présidence, dans ces circonstances, va tout peser sur sa gestion, a souligné le directeur général de Mitsubichi Motors, Osamu Masuko. Et sa nature. Si "Nissan plaide pour un réquilibrage des forces", selon l'économiste Elie Cohen, la logique actionnariale est actuellement du côté de Renault qui possède 43% de Nissan (1).
Le sujet est très sensible alors que l'État français détient 15% du capital de Renault et 22% des droits de vote. Mardi soir, le conseil d'administration de Renault a confié à Thierry Bolloré, à titre provisoire, les mêmes pouvoirs qu'à Carlos Ghosn.Il se réunira régulièrement avec l'administrateur référent, Philippe Lagayette, pour "préserver les intérêts de Renault et assurer la pérennité de l'Alliance", a-t-il indiqué. Mais les autres constructeurs sont déterminés à adopter des positions plus radicales. Le conseil d'administration de Nissan se prononcera sur le limogeage de son président jeudi matin. De même que Mitsubishi Motors.
Le conseil d’administration de Renault a demandé "à Nissan, sur le fondement des principes de transparence, de confiance et de respect mutuel de la Charte de l’Alliance, de lui transmettre l’ensemble des informations en sa possession dans le cadre des investigations internes dont M. Ghosn a fait l’objet". Mais aucun départ formel n'est envisagé à ce stade, le conseil n'étant "pas en mesure de se prononcer sur les éléments dont disposeraient Nissan et les autorités judiciaires japonaises à l’encontre de M. Ghosn".
Pas de départ formel à ce stade
Plus tôt dans la journée, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, avait lui aussi adopté cette position précisant que la responsabilité de l'État était d'assurer "la stabilité de Renault" et la "consolidation de l'alliance" avec Nissan, et qu'il n'avait pas de "preuve" pour demander une destitution formelle.
L’arrestation d’un dirigeant de multinationale est très rare. Mais selon un communiqué du parquet japonais, M. Ghosn "a conspiré pour minimiser sa rétribution à cinq reprises entre juin 2011 et juin 2015", en ne déclarant que 4,9 milliards de yens (37 millions d'euros) sur les 10 milliards de yens versés. De "nombreuses autres malversations, telles que l'utilisation de biens de l'entreprise à des fins personnelles" ont été mentionnées par le président exécutif de Nissan. Et ce, alors que l’importance et le cumul des salaires versés à Carlos Ghosn (environ 15 millions d'euros annuels) en tant que président de Renault et Nissan, lui avait été fortement reprochés ces dernières années, notamment par les actionnaires.
Ces derniers déboires ont d’ailleurs affecté le cours des actions des constructeurs. A Tokyo mardi, Nissan clôturait en baisse de 5,45% et Mitsubichi Motors de 6,84%. A Paris, le titre Renault reperdait du terrain, sur un recul de 1,19% à la clôture, après avoir déjà dévissé de 8,43% lundi. Les agences de notation dégradent également les notes des différentes entités. C'est le cas de l'agence de notation extra-financière Vigeo Eiris et de Standard and Poor's qui envisage de baisser la note de la dette à long terme de Nissan, en raison des doutes sur l'avenir de l'alliance.
Béatrice Héraud avec AFP
(1) L'alliance Nissan-renault-Mitsubichi est détenue à 50% par Renault et 50% Nissan. Renault possède également 43,4% de Nissan, quand Nissan possède 15% de Renault et 34 % de Mitsubichi Motors.