Publié le 01 mars 2023

GOUVERNANCE D'ENTREPRISE

Affaire Le Graët : La FFF manque aux principes de base de la RSE et maximise sa crise de réputation

Après des semaines de crise ouverte, Noël Le Graët a enfin démissionné de la présidence de la FFF pour mieux rebondir à la représentation française de la FIFA et attaquer tous azimuts par médias interposés. L’image du football est rongée par un mode de gouvernance d’un autre âge : absence totale de dialogue avec les parties prenantes, décisions unilatérales d’un président qui considère qu’il a tous les droits, y compris celui de maintenir la sélectionneuse de l’équipe féminine, Corinne Diacre, contestée par les joueuses. À quand la grande refonte pour incarner les valeurs officielles de la FFF ?

FFF Le graet FRANCK FIFE AFP
Le Graet, 81 ans, était dans la ligne de mire alors que la FFF faisait l'objet d'un audit à la suite de ses commentaires controversés sur Zinedine Zidane et des accusations de harcèlement sexuel.
FRANCK FIFE / AFP

Noël Le Graët, ex-président de la FFF, 81 ans, refuse de se faire oublier malgré les accusations de harcèlement. Sa démission visiblement obtenue après des semaines de négociations, n’a servi de rempart que quelques heures contre la destruction massive de l’image du football. Ce sport collectif doit porter, selon le site officiel de la FFF, les valeurs de plaisir, de respect, d’engagement, de tolérance et de solidarité, mises en scène sur un terrain de football ! Si les 11 déclinaisons de cette politique RSE ne sont pas cliquables sur le site, on peut supposer que cela reste de l’affichage pour la FFF. Or le principe de base des bonnes pratiques RSE est d’incarner les dites valeurs à travers des actions concrètes.  

Sur les principes 8, 11 et 10 développer l’exemplarité, veiller à la qualité de vie au travail et valoriser les collaborateurs, il semble qu’on soit très loin du but à la FFF. Sur le respect des collaboratrices tout comme de l’icône Zidane, Noël Le Graët a été pris en flagrant délit d’abus divers et variés. Peu lui importe, il clame son innocence et veut même attaquer en diffamation la ministre des Sports, Amelie Oudea- Castera, pour avoir insinué que ses pratiques managériales étaient plus que limite ! 

Mais sur Être à l’écoute (principe 5) et jouer collectif (principe 3) la situation n’est pas meilleure. Marie-George Buffet, ancienne ministre des sports, invitée par France Info le 1er mars, rappelait le "mal-être du mouvement sportif qui ne fonctionne pas de façon démocratique." Elle appelle à ce que "ça bouge dans les fédérations" et souligne que ce sont les dirigeants des clubs amateurs qui font vivre le football sur les terrains partout en France. Elle demande à "ce que ces hommes et ces femmes puissent prendre en main l’avenir de la fédération."

La rébellion des Bleues

Une autre crise incarne bien l’absence totale de dialogue qui règne au sein des instances du football français. La capitaine des Bleues, Wendie Renard, a démissionné le 24 février de l’équipe de France comme deux autres joueuses stars de l’équipe, Marie-Antoinette Katoto et Kadidiatou Diani.

Elle conteste les conditions offertes aux joueuses : pas de terrains, de statuts adaptés et visibilité médiatique réduite. Elle met aussi en cause le rôle de la sélectionneuse des Bleues, Corinne Diacre, renouvelée sans concertation par Noel Le Graët depuis six ans, dans la "souffrance morale" qu’elle dénonce. Une source interne de la FFF expliquait dans le Monde que "Corinne Diacre n’a pas su créer sa relation à l’écosystème général. C’est-à-dire son rapport aux joueuses, aux journalistes, à la fédération, aux clubs… ", bref à toutes les parties prenantes du monde associatif du football !

Pire, interrogée sur la manière de sortir de cette situation qui doit être tranchée le 9 mars prochain, une autre source affirme tranquillement :"C’est un cul-de-sac avec d’un côté un combat légitime des joueuses mais de l’autre côté, le danger de leur donner le pouvoir. Il faut trouver un équilibre (…) [pour] mettre Diacre en retrait sans que ça tourne à la dictature des joueuses et qu’elles puissent se révolter contre n’importe quel futur sélectionneur". Cette phrase montre bien le maintien d’une vision verticale des prises de décision dans ce monde viril et pas très correct où il semble inimaginable que les joueuses puissent être décisionnaires sur le fonctionnement de leur équipe. Favoriser les initiatives est pourtant l’engagement 6 de la FFF ! 

Sur le principe 4, encourager la diversité, la FFF est là aussi en échec. "Ils n’ont honte de rien", s’indignait Yohann Lemaire, président de l’association Foot Ensemble qui lutte contre les discriminations dans le football en particulier contre l’homophobie. Il appelle à un grand vent de renouvellement au sein du Comex de la FFF rappelant comment la Coupe du Monde au Qatar qui a multiplié  les controverses sur tous les fronts a été un cas d’école de décalage entre les valeurs prônées et les pratiques footballistiques au plus haut niveau. 

Le Graët, Laporte, Gailhaguet... incarnation du vieux monde

La crise de réputation majeure que traverse la fédération de football est une bombe à fragmentation qui étale sur la place publique les ressorts d’un système sportif où les dirigeants se maintiennent envers et contre tout à leurs postes clefs pour défendre aussi longtemps que possible un vieux monde dans lequel les abus de pouvoir ont longtemps été tus. Noël Le Graët incarne jusqu’à la caricature ces présidents incapables de lâcher titre et fonction, qui gardent des soutiens forts en interne.

Mais il y a aussi Didier Gailhaguet au patinage artistique ou Bernard Laporte au rugby. Le premier, débarqué de la présidence de la fédération de patinage artistique en 2020 pour avoir couvert des violences sexuelles, est revenu en coulisses en 2022 en faisant remplacer la nouvelle présidente Nathalie Péchalat, par sa candidate prête-nom Gwenaëlle Noury. Même chose pour Bernard Laporte, écarté de la présidence de la fédération du rugby après avoir été condamné pour corruption, il veut reprendre du service à la tête d’un club. 

À un an des JO de Paris, les instances du sport français semblent en piteux état et bien en peine d’incarner leur engagement de proposer "des jeux spectaculaires et durables parce que basés sur la sobriété, l’innovation et l’audace au service d’une nouvelle façon de faire". Foot, patinage artistique et rugby sont des disciplines olympiques  qui gardent bien d’anciennes façons d’encadrer le développement du sport ! 

Anne-Catherine Husson-Traore, directrice générale de Novethic


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